La distribution du luxe explore de nouveaux territoires

Covid-19, ventes en ligne, seconde main, Métaverse… La distribution du luxe est mise sous pression. La table ronde sur les “Prophètes de la Distribution”, organisée le 12 mai à l’occasion du Sommet du Luxe à Paris, a permis d’en percevoir les nouvelles frontières.

Acheter autrement

Pour le commerce, la source de changement la plus récente a été, évidemment, le Covid-19. La consultante Antoinette Lemens (Lemens & Partners) cite ainsi l’émergence d’un nouveau service chez Louis Vuitton il y a deux ans. Faute pour le client de pouvoir se déplacer en magasin, ce dernier se rend chez lui. En Californie, “Vuitton by appointment », une jolie petite boutique mobile, vient présenter les dernières nouveautés de la maison de luxe dans le jardin de ses inconditionnels. 
Autre tendance récente arrivée à la même période aux États-Unis, Violaine Gressier, Chargée du Département Luxe chez Meta (ex. Facebook), évoque la possibilité d’acheter désormais directement sur Instagram. Et ce, à la faveur de la pandémie qui a accéléré la digitalisation mais aussi du caractère aujourd’hui incontournable du “story-telling”. Le phénomène a émergé il y a  plus longtemps en Chine, où s’est effacée « la frontière entre communication et distribution ». Avec par exemple « la possibilité d’acheter sur le réseau WeChat ou, pour les marques, de communiquer sur la plate-forme Farfetch », souligne un expert de ce marché, Jonathan Siboni, fondateur et PDG de Luxurynsight, une société d’intelligence économique spécialisée dans la filière luxe mode et beauté.

Vuitton by appointment boutique mobile
Les boutiques mobiles Vuitton by Appointment viennent à la rencontre du client à domicile.

Live-streaming : colossal en Chine 

Pour Jonathan Siboni, les marques ont cependant raté « la communication de la digitalisation. Les influenceurs l’ont fait à leur place. Le défi sera de récupérer cette communication et les ventes associées, en humanisant de nouveau la relation avec le vendeur ». Et ce, alors que « le rôle de ce dernier a parfois été dévalorisé dans la chaîne du luxe ». Au passage, il observe qu’en Chine, le live-streaming (l’achat en ligne, et en direct, de produits vantés le plus souvent par des influenceurs) est devenu « colossal ». Plus de 6 milliards d’euros de produits, du rouge à lèvres au…missile, sont vendus annuellement dans l’Empire du Milieu par ce nouveau circuit. Lequel n’est finalement qu’un avatar de feu le téléshopping de Pierre Bellemare, invention gauloise s’il en est !
Pour contrebalancer cette tendance de fond digitale, la distribution physique se doit d’être innovante, voire disruptive. Antoinette Lemens cite le cas du concept Situ Live, inauguré fin 2021 dans le centre commercial Westfield à Londres, où « tout est achetable mais rien n’est acheté ». Le visiteur peut y découvrir moult produits innovants, mis en situation et présentés par des acteurs, du vélo aux ustensiles de cuisine. On peut essayer le premier et découvrir les seconds lors de cours de cuisine. Puis scanner le QR code des articles pour les acheter en ligne. Soit au final « une expérience très agréable », un peu comme si on feuilletait en réel un magazine de lifestyle.

Situ Live concept magasin Londres
Dans le concept Situ Live, situé dans le centre commercial Westfield à Londres, on découvre mais on n’achète pas.

Luxe et seconde main : méfiance

Autre tendance de fond intensifiée pendant la pandémie, la seconde main. Jonathan Siboni note qu’elle suscite encore des réactions méfiantes dans le luxe, rappelant celles inspirées par l’e-commerce il y a vingt ans. Pour lui, ce marché du « pre-loved » (déjà aimé avant vous par une tierce personne – NDLR) est pourtant une évidence, qui existe par exemple depuis toujours dans l’immobilier. Même si elle suscite une grande interrogation : comment créer de la désirabilité dans le luxe autour de ce concept ? Compliquant la donne, l’expert distingue trois marchés. Celui du vintage – des articles plus chers anciens que neufs –  a toujours existé. Le deuxième, où des produits neufs en série limitée sont achetés par de petits malins qui les revendent à prix plus fort, s’apparente au marché gris. Tandis que le troisième marché est celui de l’occasion (avec, par exemple, un sac de cinq ans dont on s’est lassé). Si le vintage est déjà bien intégré par les horlogers et joailliers par exemple, les autres formules vont demander plus d’imagination aux acteurs du luxe pour en tirer profit intelligemment.

Les trois révolutions du commerce

Renaud Dutreil, le Président du fonds Mirabaud Patrimoine Vivant (Carel, Tara Jarmon, Le coq sportif, Ducasse…) croit, lui, à trois révolutions du commerce. Soit d’abord la disparition d’une grande distribution « où le métier de commerçant a cédé à celui de logisticien », avec des « entrepôts sans humains », et qui a fait « souffrir énormément de PME ».  Le centre-ville français devrait, lui, faire « la conquête de la nuit », prenant exemple sur New York où l’Apple Store est ouvert 24 heures sur 24. Enfin le Métaverse bouleversera la donne. Certes, « on peut imaginer une société cauchemardesque où l’être humain s’enferme dans une expérience purement virtuelle, admet-il. Et il s’agira pour les maisons de luxe de le monitorer de façon très humaine et de s’y lancer sans se renier, comme ils l’ont fait sur internet ». Celui qui avait mis sur orbite le label Entreprise du Patrimoine Vivant lorsqu’il était secrétaire d’État aux PME, commerce et artisanat, estime ainsi qu’on pourrait s’immerger, via le Métaverse, au sein des ateliers. Et créer de l’émotion et du respect pour les 30 000 artisans d’art que compte l’Hexagone… Un point de vue partagé par Violaine Gressier qui cite l’expérience immersive de réalité virtuelle développée par Prada permettant de se mettre, via Oculus, Youtube VR, Veer, Youku ou encore Facebook dans la peau d’un artisan du cuir en train de confectionner ses souliers ou son sac Prada Cahier. Très enthousiaste, pour sa part, vis-à-vis de cette révolution du Métaverse, accompagnée de la montée en puissance des réalités virtuelles et augmentées, elle prédit que celle-ci prendra de cinq à dix ans pour s’imposer réellement dans les mœurs.

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Rédaction Sophie Bouhier de l’Ecluse

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