Le DEFI et LeherpeurParis imaginent le mode de demain

Clarisse Reille, Directrice Générale du DEFI : « Les pratiques dénoncées comme excessivement toxiques ne concernent que très partiellement les entreprises de la mode française » - Photo © François Goizé.

Le DEFI a demandé au cabinet LeherpeurParis de dégager les grandes lignes de la mode du futur dans une étude prospective. 

Incertitudes

Comment aider la filière mode à mieux se préparer à demain, dans un monde « en pleine transformation », plein « d’incertitudes » ? C’est la question que s’est posée Le DEFI, le comité professionnel de développement économique de la mode et de l’habillement, désireux de nourrir, avec « les actions les plus efficaces possible », son contrat d’objectifs et de performances 2024-2027, soumis à la signature du ministère de l’économie et de l’industrie.
Pour y parvenir, explique sa Directrice générale Clarisse Reille, le DEFI, soutenu par les fédérations de la filière, a fait réaliser par le cabinet LeherpeurParis Conseil, une étude de pure prospective sur la mode.
Pour détecter les contours de demain, LeheurpeurParis a croisé les contenus d’une vingtaine d’entretiens avec des experts du secteur, d’un workshop effectué avec des étudiants en mode, d’entretiens qualitatifs réalisés avec des consommateurs en France et à l’international et enfin de la veille et de recherches desk. L’étude a ainsi relevé trois leviers pour régénérer la filière mode : « redonner toute sa place à l’humain », via notamment le management et la formation, « responsabiliser la filière en ayant en tête la singularité de la mode française et européenne » et enfin, « remettre au cœur » de la démarche « la création du produit, ainsi que de l’image et de l’expérience autour du produit ».

« Il faut faire de la mode la première industrie régénératrice autour des business models du “RE” (Réinventer, Réparer…). »

Plan Marshall

Si cette riche étude est impossible à restituer dans son ensemble, quelques idées fortes se dégagent. En premier lieu apparaît une invitation « à revoir ses schémas de pensée », tout d’abord en « positivant ».
Constatant que la mode a tendance à beaucoup s’autocritiquer, l’étude invite à « mobiliser toute cette énergie pour construire plutôt qu’à dénoncer ». Avec notamment un objectif ambitieux en termes de RSE : « passer de la position de sixième industrie la plus polluante à celle de première industrie régénératrice autour des business models du “RE” (Réinventer, Réparer…). « Les pratiques dénoncées comme excessivement toxiques viennent surtout de quelques grands acteurs et ne concernent que marginalement les entreprises de la mode française. Avec la dénonciation de la fast fashion, certains ont tendance à faire des amalgames avec la mode accessible au sens large. Or, la force de la filière française est justement la variété de ses acteurs, de l’entrée de gamme au luxe. Un luxe qui doit d’ailleurs garder sa position de moteur du changement sociétal », souligne Clarisse Reille. 
Pour affronter les temps nouveaux, l’étude préconise de « favoriser l’interaction » entre acteurs de la filière, pour « créer un esprit de corps en identifiant le bien commun et en adoptant de nouvelles attitudes, référentiels et outils à la manière d’un Plan Marshall du secteur ». Parmi les points à améliorer, elle souligne « qu’il faut créer des relations de confiance avec les sous-traitants car la filière n’ira bien que si tous ses acteurs vont bien ».

Premier défilé Pharell Williams pour Louis Vuitton lors de la Fashion Week de Paris : « Il faut faire rayonner Paris en tant que « capitale de la mode ouverte pendant les Fashion Weeks. »

Paris, capitale ouverte

Outre des passerelles françaises, l’étude suggère de « consolider l’axe franco-italien en mutualisant davantage les forces pour renforcer l’image de la mode européenne. Pour le dialogue au sens large, Morgane Pouillot, l’une des trois auteures de l’étude chez LeherpeurParis, avec Caroline Bianzina et Sandrine Pannetier, invite à « continuer à faire rayonner Paris en tant que capitale de la mode ouverte pendant les Fashion Week, un lieu permettant de proposer de nouvelles solutions, un peu à l’image de ce qui se fait pendant la Semaine du Design à Milan ».
Ces actions positives pourraient inspirer un meilleur appui des pouvoirs publics, jugé aujourd’hui insuffisant. « Dans les plans de soutien de secteurs industriels, on ne trouve presque jamais la mode », déplore Clarisse Reille. L’annonce récente d’un « plan mode », devant être détaillé d’ici l’été par la ministre déléguée chargée des Entreprises, du Tourisme et de la Consommation Olivia Grégoire, pourrait cependant infléchir ce jugement.
Pour autant, l’étude suggère d’éviter le trop-plein de normes et les excès de certifications, pullulant dans la mode, et « profitant surtout aux mastodontes de la certification. Il faut transformer les “données froides” en “données palpables” (story telling) qui vont raconter la filière », estime Morgane Pouillot.
Pour réenchanter la filière, Caroline Bianzina suggère aussi de davantage « chouchouter » la création, pour « convaincre les étudiants du secteur, parfois un peu découragés, qu’il existe encore de belles choses à faire dans la mode. Mais la notion de création ne se limitera pas seulement à l’esthétique ou à un dessin, il faut l’élargir à l’invention de nouveaux modèles économiques, notamment en tissant des liens avec la science et d’autres industries », souligne Clarisse Reille.
Pour favoriser cette ouverture des esprits, elle cite en exemple des écoles de formation associant ingénierie et création (IFM, EnaMoma, Master Mode et Communication de l’Université Lumière Lyon 2…). Car à ses yeux, « les formations actuelles sont trop axées sur le business et le marketing, et pas assez sur la création et la fabrication, il y a besoin d’un rééquilibrage ». Celui-ci pourrait aussi favoriser la connaissance des matériaux et « permettre d’aller plus loin en matière d’économie circulaire, vers la revalorisation, le réemploi ».

Nouveau management

De façon générale, l’étude invite à « favoriser l’émergence de gens talentueux et humbles » dans la filière, alors qu’on assiste à une critique grandissante des modes de management et leadership actuels. « Les maisons de luxe demandent de plus en plus à notre cabinet de les conseiller pour inspirer leur middle management et les aider à réfléchir autrement », confie Caroline Bianzina.
Cet enjeu majeur n’est certes pas propre à la mode française. Partout, les jeunes aspirent à être managés autrement et une crise de la fidélisation des salariés traverse le monde entier. « Aux États-Unis, des études de McKinsey montrent que le taux de démission dans la distribution est 70% plus élevé que dans d’autres industries. En Chine, certaines démissions sont fêtées en fanfare », souligne l’étude.
Autre enjeu d’avenir, « la filière doit s’emparer de la tech et de la science », mais de façon progressive, aux bons endroits.Par exemple, « il ne faut pas s’attendre à manier un gros robot IA (Intelligence Artificielle) qui arrivera à tout résoudre », explique Clarisse Reille. Il faut « décomposer pour dédramatiser » et savoir « traiter, extraire et utiliser la donnée pour optimiser » une problématique à la fois, comme « la compréhension des clients et de leurs besoins ; la supply chain et la traçabilité ; ou la communication et la visibilité, etc. » La directrice du Défi n’en doute pas : la mode française a tous les atouts pour dessiner un bel avenir : « de très belles marques, la création, la culture, les magasins, une vraie singularité et un vrai modèle de mode. »

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Rédaction Sophie Bouhier de l’Ecluse

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