Clémence Cahu, créative débridée !

Elle a ce je ne sais quoi d’indéfinissable, cette fureur qui entraîne tous ceux qui la croisent. Clémence Cahu vit sa marque à 3 000%. Il en va de même pour le reste de ses activités. Rédac’Chef, DA, scénographe, personal shopper… rien ni personne ne résiste à cette forte tête qui chamboule un peu les codes du luxe traditionnel ! Elle porte du noir mais esquisse un univers haut en couleurs. Cette ambivalence, elle la cultive depuis l’enfance comme son addiction aux personnages de fiction. Entre MacGyver, le couteau suisse par excellence, et Cruella d’Enfer, ambitieuse créatrice de mode – la cruauté en moins -, elle hésite encore. Comme l’héroïne excentrique, Clémence adore les voitures de luxe et le luxe tout court ! nous avoue-t-elle. Nourrie de l’imagerie des films et du prisme de l’entreprise familiale (NDLR – une fabrique florissante de structures de jeux gonflables), elle crée à plein volume des sacs cabas XXL increvables. Son pêché original ? Le PVC. N’y voyez pas là de vulgarisation, mais un pur produit ludique sans errance de style ni compromission empreint d’un sens aigu de l’esthétique et de l’obsession du détail. Entretien.

La créatrice Clémence Cahu ne manque pas d’humour à l’instar de ce shooting organisé dans l’usine familiale de châteaux gonflables en Normandie, où elle s’approvisionne en chutes de toile de PVC pour confectionner les sacs de sa marque.

Clémence quelle professionnelle êtes-vous ?

J’ai grandi en Normandie à quelques encablures du Mont-Saint-Michel, en immersion dans l’usine de châteaux gonflables cofondée par mon père. Je suis un peu bipolaire, j’ai toujours voulu devenir styliste tout en gardant un œil sur la gestion de la société. Aujourd’hui elle compte une quarantaine de salariés qui font tout de A à Z pour des clients tels que X Games, Interville, le Tour de France… Dès l’âge de 15 ans je me suis formée aux arts appliqués puis je suis partie à Paris où j’ai intégré l’Atelier Chardon Savard qui est une très bonne école de mode. Cela m’a forcée à mettre les mains dans le cambouis sur tous les aspects couture…mais mon attrait pour le business m’a rattrapée… J’ambitionnais de rentrer dans une maison de couture et j’estimais que je n’avais pas encore assez appris. J’ai alors effectué un premier stage chez Pressing en tant qu’attachée de presse. Décidée à faire un autre stage dans un magazine, j’ai insisté jusqu’à ce que je sois prise au Citizen K que j’achetais toujours en plusieurs exemplaires pour les collectionner, faire des collages…et à l’issue de trois semaines, Kappauf, son Directeur, m’a proposé le poste de Rédactrice en Chef des accessoires et joaillerie. L’école a aménagé ma dernière année pour que je suis puisse accepter ce job assez unique. De mon côté j’ai acheté un scooter et cumulé le travail le jour et la couture la nuit !

Comment en êtes-vous venue à créer votre marque éponyme ?

J’ai travaillé quatre ans chez Citizen K tout en abordant la Direction Artistique avec Nelly Rodi, cela commençait vraiment à me chatouiller et je suis passée en free-lance. J’ai collaboré avec d’autres magazines de mode puis participé à mes premières grandes campagnes de publicité avec des agences réputées, des égéries… J’ai fait du consulting, imaginé des concepts de personal shopping pour les Galeries Lafayette, habillé Daphné Burki pour la télévision…bref oscillé entre des missions diverses et variées. Ces dix années très riches ont éveillé l’envie de créer un concept pérenne qui m’appartienne. La question de la succession de mon père s’est posée mais je ne me voyais pas quitter Paris et en même temps je suis très attachée à son entreprise. Là-bas j’ai réalisé qu’il y avait quelque chose à faire avec toutes les chutes de toile PVC. J’ai consulté une prototypiste maroquinière de chez Vuitton dans le dessein d’en faire de la haute maroquinerie et nous nous sommes lancées. Les huit références de la première ligne « Archive » revalorisant des bâches en plastique étaient intégralement doublées de cuir, très plastiques (NDLR – dans tous les sens du terme). Mais c’est sur « Le Pratique » qui servait à les transporter que se sont portés les acheteurs ! Un sac cabas immense doublé de coton en all over cette fois-ci pour conserver le côté poids plume. Six mois après le lancement, Maison Kitsuné nous a sollicités pour une collab’ qui nous a amenés à développer de plus petits gabarits afin de coller à la clientèle japonaise et coréenne. Ce partenariat a déclenché un véritable effet boule de neige.

Sacs Pratiques déclinés en exclusivité dans le cadre d'une collaboration avec le label Kitsuné.

Qu’est-ce qui la différencie ?

J’ai toujours été extrêmement exigeante quant à la qualité des cuirs utilisés, des teintures de tranche, des points à la main, et depuis le début je mets un point d’honneur à incarner le luxe. Nous optimisons les fins de rouleaux de PVC car pour lancer une production de 500 pièces les chutes ont leur limite. Nous jonglons entre deux gammes comme Marine Serre aussi qui a deux lignes, d’ailleurs beaucoup de créateurs font ainsi. Les modèles phares de notre ligne « full upcycling » sont dénommés « bigoûts ». Des sacs bicolores qui illustrent clairement les contraintes de ce type de fabrication c’est-à-dire qu’on les scinde en deux couleurs parce que leurs corps sont bien trop grands par rapport aux rebuts exploitables. Alors que les cabas monochromes sont montés dans les fins de rouleaux. Aujourd’hui ils existent en trois tailles, trois teintes de doublure et une palette chromatique de dix-huit nuances pop offrant d’infinies combinaisons. Le Bon Marché les a commercialisés tout au long des animations de Noël et ils ont donné lieu à une très belle collaboration avec le Secours Populaire.

Qu’est-ce qui vous anime ?

À l’origine, j’ai envisagé cette déclinaison couleur à travers une tonalité ludique que seul un rapprochement légitime justifiait à mes yeux. J’ai choisi de m’associer au Secours Populaire qui tous les ans aide des enfants à partir en vacances ou à la mer. Ce projet nous l’avons illustré dans un film, avec la participation des enfants bien sûr, mais aussi d’Audrey Marnay, Daphné Burki, Hannah O’Neil…sur bande sonore de Philippe Katerine, c’était extraordinaire !

Clémence Cahu a choisi de s’associer au Secours Populaire qui tous les ans aide des enfants à partir en vacances ou à la mer. La directrice artistique a illustré le projet dans un film, avec la participation des enfants bien sûr, mais aussi d’Audrey Marnay, Daphné Burki, Hannah O’Neil…sur bande sonore de Philippe Katerine.

Quels sont vos chantiers en cours ?

La Caserne (NDLR – accélérateur de marques de mode responsables) nous a approchés pour entrer dans ce nouveau lieu qui va ouvrir en juin 2021. L’occasion de leur raconter cette belle histoire avec le Secours Populaire et de leur faire part de ma frustration à ne pas pouvoir tout produire sur notre territoire. Depuis APF France handicap est entré dans la boucle avec l’ouverture d’un atelier de maroquinerie à Evreux (NDLR – en accès privilégié pour les membres de La Caserne). L’équipe est très motivée et très bien équipée mais doit poursuivre la formation et pratiquer sur ces standards de finitions propres au luxe. Le savoir-faire maroquinier s’acquiert à force de faire, de refaire et défaire, à l’instar des meilleurs artisans qui ont des années et des années de travail derrière eux. En parallèle, nous sommes en pourparlers avec des clients d’usines de PVC qui, à ma grande surprise – et c’est tant mieux – sont déjà structurés en matière de process de recyclage. Pour les autres, nous allons mettre cela en place rapidement.

Comment vous définiriez-vous ?

Aujourd’hui on se définit comme un produit qui serait décliné sous toutes les couleurs, toutes les collaborations et irait à tout le monde. Une pièce parfaite mais universelle dans le sens où chaque style se la réapproprie. Personnellement, je suis fascinée par Martin Margiela, la période des années 90 d’Helmut Lang ou Prada, toutes ces marques-là. C’est drôle d’ailleurs parce qu’il y a des personnes qui m’envoient des photos et me disent « c’est très Cahu » preuve que la marque leur évoque déjà une signature ! Cahu c’est à la fois la couleur et la simplicité des lignes, c’est un peu le mix d’une touche d’humour mais toujours avec une esthétique très léchée. D’ailleurs je suis toujours en noir, en Uniqlo hommes pour me protéger car je me déplace en scooter et en même temps je porte des accessoires Margiela très féminins, très concepts…Et la marque Cahu c’est un peu cela, une pièce de mode avec laquelle on peut tout faire, pratique quoi qu’il arrive.

Le sac Pratique existe en trois tailles, trois teintes de doublure et une palette chromatique de dix-huit nuances pop offrant d’infinies combinaisons. Ils sont commercialisés en ligne et au Bon Marché à Paris.

Comment jonglez-vous avec diverses formes de création ?

Je continue la direction artistique, les magazines parce que c’est ce qui me nourrit et entretient mon réseau. Sans cela, Cahu n’aurait pas grandi ainsi…Toute ma vie j’ai réalisé des éditos, des projets avec des contraintes annonceurs, un éditeur qui veille…alors que cette marque est ma danseuse, je n’en fait qu’à ma tête, je fais mon book…Cela plaît parce que l’on fait des beaux produits et que c’est sincère, j’y mets naturellement une bonne dose d’humour parce que je peux me permettre d’être légère sur ma marque. Donc j’ai tout intérêt à conserver cet écosystème. Je n’ai plus besoin d’agent, Instagram fait office de vitrine professionnelle.  

Est-ce difficile aujourd’hui d’entreprendre ?

Nous ne gagnons pas d’argent mais sommes à zéro pour la première fois. Nous avons beaucoup investi depuis le début et après trois ans, il nous faut passer le cap supérieur. Je crois plus en la « love money » pour continuer… Aujourd’hui je suis bien entourée, j’orchestre une commerciale, une directrice de production en free-lance mais c’est vrai qu’il me manque un stratège ou une gestionnaire et bizarrement beaucoup de personnes nous approchent. Elles ont dû comprendre que j’entrais dans cette charnière-là. Ce qui est formidable c’est qu’ADC (NDLR – l’incubateur filière cuir) va pouvoir nous orienter, m’aider à me structurer et surtout me confirmer si nous avons réellement besoin de tel ou tel accompagnement… Idem pour la Caserne qui arrive à point nommé. Bientôt Cahu aura besoin d’une vitrine avec des bureaux, devra contourner les limites de sa capacité de production…et ces deux structures vont me permettre d’avancer sur ces sujets.

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Rédaction Juliette Sebille

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