Bénédicte Bach, le grain de poésie dont l’industrie du cuir a besoin

On ne naît pas artiste, on le devient. Depuis l’Alsace, sa terre d’adoption, Bénédicte Bach mûrit une réflexion littérale qui soulève des envies de création laissant libre cours à diverses formes d’expression. Touche-à-tout, l’artiste plasticienne navigue entre plusieurs disciplines, de la photographie à la réalisation d’installations originales pleines de poésie. Membre du collectif de l’Industrie Magnifique, elle nous a narré la belle histoire de sa rencontre avec les Tanneries Haas, à l’origine d’une deuxième exposition, reportée au printemps prochain. Avant-première.

Les œuvres de Bénédicte Bach puisent leur consonance poétique dans les mots, à l’origine de son processus créatif.

Quelle est la genèse du projet ?

L’Industrie Magnifique a pour cœur d’opération la collaboration entre artistes et entreprises. C’est en réalité plus qu’un projet, il faut que l’idée proposée par l’artiste corresponde avec l’envie de l’entreprise. Et puis c’est surtout une aventure humaine, c’est l’histoire d’une rencontre entre la philosophie du mécène et de l’artiste qui ouvre des perspectives, traduit un langage commun. Outre le mécénat artistique direct, l’Industrie Magnifique bénéficie d’un sponsoring pour financer les expositions sur l’espace public. L’association Industrie et Territoires qui gère tout cela est née ici à Strasbourg mais a vocation à se développer au niveau national voire au-delà, il n’y a pas de limites. Une première manifestation a eu lieu en 2018 avec 24 œuvres sur les différentes places de la ville dont celles du sculpteur Stephan Balkenhol pour Hager, de Marc Quinn

Qu’est-ce qui vous a poussée à collaborer avec les Tanneries Haas ?

Artistiquement c’est une aventure hyper stimulante, je savais que les Tanneries Haas étaient intéressées par ce type de projet et j’avais très envie de jouer dans cette cour là ! La matière est vivante, leurs cuirs sont magnifiques… la tannerie c’est un peu la caverne d’Ali Baba avec plein de trésors. C’est une très vieille entreprise, dans son jus, avec des vieux foulons et d’autres plus modernes mais c’est vrai qu’ils commencent à être à l’étroit, du coup ils ont investi dans des nouveaux locaux juste à côté. Les Tanneries Haas sont en train de se rapprocher d’une autre usine au plan local (NDLR – la Tannerie Degermann également rachetée par le groupe Chanel). L’idée c’est de les réunir ensemble sur un même site avec des outils ultra performants pour préparer la tannerie du 21ème siècle, cela va être génial !

Qu’est-ce que vous avez appris au travers de votre première collaboration l’Envolée Chromatique ?

Il y a plusieurs dimensions en fait dans ce type de projet, il y a tout ce que l’on vit avant, dans la phase de conception, de fabrication de l’œuvre et tout ce qui se vit en interne, les échanges que l’on peut avoir avec des équipes qui viennent d’univers différents. Je garde de fantastiques souvenirs comme le moment où nous devions coller des morceaux de cuir pour assembler les papillons. Nous étions installés dans la chaufferie avec trois employés des Tanneries Haas. Au début ils avaient des conversations banales mais au bout de quelques papillons, les mots qui étaient écrits dessus ont suscité des interrogations et on a fini la matinée en parlant poésie ! Finalement, à travers un projet qui sort de l’ordinaire et ne correspond pas au cœur d’activité de l’entreprise, les salariés se posent plein de questions qui amènent de nouvelles réponses, qui à leur tour peuvent nourrir d’autres réflexions dans le travail quotidien.

Industrie Magnifique Benedicte Bach Tanneries Haas
Bénédicte Bach est membre de l’Industrie Magnifique, un collectif né en 2016 de la volonté de rapprocher artistes et entreprises. C’est ainsi qu’elle a été amenée à collaborer avec les Tanneries Haas en 2018 pour une première installation, l’Envolée Chromatique, puis cette année pour une deuxième manifestation, Portée aux Nues, reportée au printemps 2021.

Côté public, quel engouement a suscité l’exposition ?

L’Industrie Magnifique est une sacrée vitrine en matière d’exposition et de visibilité. Selon les évaluations de la ville, 300 000 personnes ont fréquenté l’exposition au cours de onze journées très denses, incluant des jours fériés. L’œuvre était exposée sur une place qui recouvrait toute La Petite France, le quartier touristique de Strasbourg, juste à côté de la Maison des Tanneurs. C’était voulu évidemment puisqu’elle raconte le début de l’histoire du processus de tannage. J’étais ravie de pouvoir rhabiller l’espace public sans altérer l’usage de la place et de voir comment les gens redécouvrent leur ville, ce que cela sème comme petite graine de poésie.

Comment le trait d’union entre savoir et faire se matérialise-t-il ?

Lors de la première édition de l’Industrie Magnifique, l’Envolée Chromatique, nous avions démarré en janvier pour une exposition en mai donc c’était très condensé et je n’ai pu travailler qu’avec une toute petite partie de l’équipe. Pour la seconde manifestation, Portée aux Nues, Jean-Christophe Muller, le PDG de la tannerie, a souhaité prendre le temps de bien implanter le projet en interne afin d’engager un maximum de personnes. Mon atelier est gigantesque, il se situe dans le bâtiment qu’ils ont racheté et sont en train de réaménager. C’est un lieu accessible à tous les salariés où évidemment l’on fabrique les nuages mais en fait on partage bien plus que la création sur ce type d’expérience. J’ai rencontré les 130 salariés, qui travaillent tous dans la même entreprise chacun dans leur service, j’ai eu droit aux histoires de vie, de parcours… et au fond, le simple fait de venir à « l’atelier des nuages » leur permet de tisser des liens transverses.

Envolée chromatique Benedicte Bach Tanneries Haas
Fruit de la collaboration avec les Tanneries Haas, l’Envolée Chromatique, une installation de papillons en cuir signée Bénédicte Bach, a survolé le quartier touristique de La Petite France à Strasbourg en mai 2018 dans le cadre d’une manifestation portée par l’Industrie Magnifique.

Concrètement, comment fabrique-t-on des nuages sous le même ciel (les Tanneries Haas) ?

Je suis en formation indirectement à la tannerie parce qu’à force d’échanger avec les ouvriers des différents services – de la rivière jusqu’à la finition -, je peaufine mon apprentissage !
La première fois nous avions réalisé 71 papillons, là il s’agit de 30 nuages donc il y a moins d’objets à l’arrivée. En revanche, on s’est lancé dans un défi technique plus important, il faut que ce soit parfaitement assemblé, que les jointures soient impeccables parce que les nuages doivent résister aux intempéries. J’ai travaillé avec le responsable R&D, je suis la spécialiste pour lui donner du fil à retordre ! C’est un projet artistique mais c’est vraiment organisé comme un projet industriel. Tout est posé dans un rétro planning (qu’il faut que l’on revoie évidemment du fait du confinement). Les personnes peuvent s’inscrire ou venir directement à l’atelier pour se mettre dans le mouvement en fonction de l’état d’avancement du projet. Pour chaque nuage – des icosaèdres – il y a 30 pièces à assembler, et sur chacune des pièces il a fallu que l’on bricole trois bandes de Velcro. Globalement, pour chaque nuage il y a 90 morceaux de Velcro à coller ce qui revient à 2 700. Ce sont des chiffres un peu fous, cela prend du temps et du coup nous avons décidé de qui serait à la découpe, au collage… tout cela dans une ambiance très joyeuse !

La crise que nous vivons exerce-t-elle une influence sur votre approche et le cours des opérations ?

Le confinement a stoppé le projet alors que l’on entrait dans une dynamique extrêmement riche. C’est un peu ma spécialité d’être perchée, j’aime bien avoir la tête en l’air. L’objet de mes interventions est poétique et je pense que la poésie est plus que jamais nécessaire, que l’on en a bien besoin. C’est un projet qui me tient vraiment à cœur, qui me tenait déjà beaucoup à cœur, et là encore plus. Le Covid, les aléas ont renforcé les choses. Je suis contente que l’on puisse faire l’exposition tout de même (NDLR – reportée au printemps 2021) parce que l’on aurait pu imaginer qu’elle soit annulée compte tenu des répercussions économiques. Je ne suis pas seule dans l’aventure, il y a une trentaine d’artistes impliqués, on n’a perdu personne en route pour l’instant mais cela pose une grande incertitude. C’est une vraie communauté et de septembre à mai tout le monde se retrouvera en ligne une fois par mois pour faire un point par visio interposée.

Benedicte Bach artiste plasticienne
L’artiste plasticienne Bénédicte Bach réalise des installations pleines de poésie, à l’instar de l’Envolée Chromatique (mai 2018) et de Portée aux Nues qui sera exposée au printemps prochain à Strasbourg - Photo © Nicolas Rosès.

Parlez-nous de votre modus operandi, de votre quotidien.

L’écriture, c’est le point de départ de ma démarche, je pars toujours d’un mot, d’une expression que je triture dans tous les sens et ensuite l’image naît naturellement autour. L’idée c’est bien de raconter une histoire, ce que cela évoque. Je partage mon temps entre mon atelier, ma production personnelle et La Pierre Large à Strasbourg. C’est une galerie associative qui propose des expositions, de quatre à six par an, exclusivement centrées autour de l’image que ce soit de la photographie plasticienne ou vidéo d’art. C’est un tout petit lieu mais que l’on fait vivre en montant des expositions avec des photographes régionaux, nationaux ou internationaux.

naît-on artiste ou le devient-on ?

J’ai un parcours un peu atypique bien que je sois issue d’une formation universitaire classique (Droit – Sciences Po). Après quelques années de travail dans le domaine de l’insertion sociale et professionnelle, j’ai fermé la porte de mon bureau, j’avais besoin d’exprimer autre chose, de donner toute la place à cette expression-là. La vie d’artiste n’est pas une vie conventionnelle, pas simple économiquement parlant mais en même temps c’est une vie incroyablement riche de rencontres et d’expériences, de découvertes et de réflexion.

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Rédaction Juliette Sebille

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