Alric perpétue le savoir-faire
de la mégisserie traditionnelle

Stock Alric
Grâce à son stock permanent de 250 000 peaux. Alric peut répondre rapidement à des commandes de l'ordre de 10 000 peaux.

Entreprise familiale indépendante, Alric reste la seule mégisserie millavoise à travailler la peau d’agneau à la chaux. Un procédé transmis de génération en génération au cours de son histoire qui confère au cuir une très grande souplesse. Un atout qui séduit les grandes maisons du luxe.

Une histoire de familles

Située dans la ville même de Millau, à quelques encablures du Tarn, la mégisserie Alric c’est avant tout l’histoire de deux familles : les Alric et les Duchêne. Tout commence en 1931, quand Marcel Alric fonde l’entreprise. À l’époque, il y avait une importante concentration de mégisseries car les nombreux gantiers basés dans la cité millavoise consommaient une grosse quantité de peaux d’agneaux et de chevreaux. Au plus fort de son expansion ? Alric possédait trois sites de production, un directement sur une rive du Tarn, un autre spécialisé dans la teinture au pistolet et le site actuel qui, d’ailleurs, n’est pas très loin du Tarn lui aussi. Puis Marcel Alric cède la mégisserie à ses deux gendres Jacky Liron et Bernard de Reynès. C’est en 1996 que François Duchêne, Directeur Technique, rachète l’entreprise, alors en dépôt de bilan, avant de la céder à son tour à son fils Jean-Charles qui dirige actuellement la mégisserie. Ce sont donc deux familles et quatre générations qui se sont succédé à sa tête en assurant à chaque transmission la pérennisation des savoir-faire. 

Travail de l’agneau à la chaux

À la suite de la disparition progressive de nombreux gantiers, alors que la plupart des mégissiers se sont tournés vers la maroquinerie, Alric a fait du vêtement en cuir son cœur de métier. « Depuis le rachat par mon père, nous nous sommes concentrés sur le tannage de l’agneau et un peu sur le veau alors qu’auparavant nous traitions également les peaux de bovins, de reptiles et même de poissons afin de répondre aux besoins de l’industrie gantière très fortement implantée dans la région. Ce choix est lié au fait que nous sommes restés une mégisserie traditionnelle de la région, c’est-à-dire que nous travaillons à la chaux et non au sulfure comme les autres le font. Nous produisons 150 000 peaux par an », explique Jean-Charles Duchêne, PDG de l’entreprise. Grâce à ce process, certes beaucoup plus long, 9 jours contre 1 seul avec le sulfure, on obtient des cuirs d’une très grande souplesse. Concrètement, deux sont consacrés au nettoyage des peaux avec de l’eau et du savon, puis celles-ci sont plongées pendant 6 ou 7 jours dans un bain de chaux, dont le dosage doit être très précis, qui fragilise la racine de la laine. Puis les peaux passent dans la délaineuse. Alric a fait de l’agneau « foulard », dont l’épaisseur oscille entre 0,4 et 0,5 mm, sa spécialité.

L’Entrefino plutôt que le Lacaune

Alors que la race ovine Lacaune est très répandue dans la région des Causses, Alric achète ses peaux d’agneaux en Espagne, grande spécialiste de l’agneau Entrefino. « Nous avons fait ce choix car l’Entrefino a la particularité d’avoir un grain très fin et moins de défauts que les autres races. Il est vrai qu’auparavant, à Millau, nous travaillions tous le Lacaune. Mais nous avons arrêté car sa peau s’est détériorée à la suite des choix génétiques agricoles effectués en privilégiant l’industrie laitière. Nous préfèrerions évidemment nous fournir localement. Cependant, rien n’est figé car nous commençons à voir apparaître des défauts similaires sur les peaux espagnoles. Nous sommes face à une vraie problématique car de plus en plus de peaux ne sont pas vendables. C’est pourquoi nous participons au projet SELAMBQ (NDLR – Spanish Entrefino Lamb Quality) qui regroupe des mégissiers espagnols et français dont l’objectif est de comprendre la cause de l’apparition de ces défauts et de tenter d’en éliminer certains, notamment le « piqué de paille ». « Le projet bénéficie d’importantes subventions espagnoles car le marché de l’Entrefino en Espagne est énorme, environ 2 millions de peaux par an pour un montant d’environ 30 millions d’euros. Quant aux 600 000 peaux d’agneau Lacaune, elles partent, ironie du sort… en Espagne. Enfin, concernant le Lacaune, il existe de nombreux projets qui sont en cours pour améliorer la race », indique Jean-Charles Duchêne.

Le classeur observe les peaux une à une et les classe en fonction de leur qualité et destination marché. Un rôle primordial qui nécessite coup d’œil et coup de main.

Diversification sur le veau

Si l’agneau représente 90% de sa production, Alric travaille également le veau qu’il achète pour l’essentiel en Normandie. Ces peaux sont destinées à la maroquinerie qui représente 20% de son activité. « Ce sont des veaux qui ont une taille légèrement supérieure à celle de l’agneau, ce qui nous permet d’utiliser les mêmes machines », précise Jean-Charles Duchêne. Si actuellement le veau représente une petite partie de sa production, l’entreprise aveyronnaise compte bien se développer progressivement sur ce marché très concurrentiel dominé par les Italiens. « Nos peaux sont majoritairement vendues en France, mais également à l’international où nos clients sont essentiellement anglais, américains et italiens », précise Jean-Charles Duchêne. Le traitement des peaux de veau s’effectue au sulfure car il ne s’agit pas de laine mais de poils.

Séchage à l’ancienne

« En France, traditionnellement, on sèche la peau avant de la tanner. Quelques pays le font, mais les pays traditionnels du cuir, comme l’Espagne ou l’Italie ne procèdent pas ou peu au séchage des peaux avant tannage. Pourtant la sélection des peaux, notamment le repérage des défauts, est plus facile sur les peaux sèches que sur les peaux humides. C’est important car, en France, il existe une exigence extrême des clients en matière de qualité de cuir », constate Jean-Charles Duchêne. D’où le rôle primordial du classeur. Celui-ci va observer les peaux une à une et les classer en fonction de leur qualité et destination marché. Traditionnellement, un bâtiment typique de mégisseries est relativement long et haut.  Les derniers sont en bois et dotés de persiennes d’aération qui permettent aux peaux de sécher à l’air libre. « Nous avons recréé cet environnement de séchage naturel en laissant quelques fenêtres et simplement ajouté un système de chauffage doté d’un régulateur qui réduit un peu le temps de séchage en cas de nécessité. Concrètement, les peaux teintes le jeudi sèchent dans la nuit et peuvent être travaillées le vendredi. Nous pouvons sécher jusqu’à 2 500 peaux simultanément », détaille le dirigeant.

Alric
Alric pratique le séchage à l'ancienne et peut sécher jusqu'à 2 500 peaux simultanément.

Un laboratoire très actif

Accréditée REACh, comme toute bonne mégisserie qui se respecte, Alric dispose d’un laboratoire dirigé par un ingénieur chimiste. Ce dernier mesure et contrôle les effluents pour voir s’ils sont conformes avant d’être rejetés dans la station d’épuration de la ville. Par ailleurs, Alric a mis au point une méthode de détection de la teneur en chrome III de ses cuirs sur la base de la norme AFNOR. Si le résultat est supérieur au seuil, l’échantillon est envoyé à un laboratoire accrédité. Cela lui permet d’assurer à ses clients qu’aucune des peaux qu’elle leur livre ne contient du chrome VI. Concernant la teinture des peaux, le laboratoire dispose également d’une base de données de 3 000 échantillons de peaux sur lesquels une étiquette agrafée mentionne les colorants utilisés et le dosage, c’est-à-dire le poids de colorants par rapport au poids total des peaux. « Le teinturier peut ainsi faire son mélange de colorants, réaliser un test et le comparer à l’échantillon du client. Le cas échéant, il ajuste. In fine, une peau entière est envoyée au client pour validation », précise Jean-Charles Duchêne. Alric travaille également sur un projet de tannage sans métaux qui seront remplacés par des résines synthétiques. Des cuirs tannés avec cette méthode seront dévoilés lors de la prochaine édition de Première Vision Leather en septembre à Paris.

Alric
L'épaisseur des peaux commandées est précise au 10ème de millimètres près.

Miser sur la créativité

Face à ses concurrents (pour la plupart passés dans le giron des grands groupes de luxe) et constatant que le cuir d’agneau plongé classique « n’a pas le vent en poupe », Alric a choisi de développer une gamme de cuirs fantaisie avec différents grains et différentes finitions. Elle mise également sur l’innovation technologique. Ainsi la mégisserie millavoise a présenté début juillet, au salon Blossom Première Vision à Paris, un cuir grainé lavable en machine alors que, jusqu’à présent, elle ne disposait que d’un cuir lisse possédant cette caractéristique dans son offre. Alors, un cuir lavable en machine, comment ça marche ? « En fait, le cuir est teint en milieu acide et le lavage en machine en milieu alcalin. Nous avons donc une palette de colorants qui agissent dans ce dernier. Ainsi, lors du lavage ils se fixent encore mieux. Le bémol, c’est que la gamme de type de colorants n’est pas très étendue, ce qui limite la palette de coloris », nous éclaire Jean-Charles Duchêne. Enfin, malgré une concurrence farouche et sa taille modeste, la mégisserie Alric, qui emploie 26 personnes dont 19 en production, va, notamment, procéder à une réorganisation d’une partie de son processus de production pour se doter de la salle de retannage qui lui fait défaut. Bref, Jean-Charles Duchêne ne manque pas de projets. 

Rédaction Jean-Marc Ménard
Photos © Corinne Jamet

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