Agnelle garde la « main mise »

Moins prisé des consommateurs depuis les années 1970, le gant n’en demeure pas moins un accessoire fonctionnel pertinent et une touche d’élégance indéniable. Fidèle à ses valeurs ancestrales, Agnelle perpétue la tradition avec foi et humilité. Portait d’un expert de la « main mise ».

Les modes passent mais la tradition reste. Alors même si les gants ont moins la cote aujourd’hui, un accessoire aussi ancien ne saurait disparaître des usages et des magasins. C’est ainsi qu’Agnelle, gantier depuis 1937, protège toujours avec goût et sollicitude nos mains délicates. Peut-être Joseph Pourrichou, Directeur des Papeteries du Limousin, ne prévoyait-il pas pareille longévité lorsqu’il fonda l’entreprise pour son fils, coupeur de formation. Mais ce dernier sut d’emblée faire prospérer l’affaire, bien secondé par sa compagne qui reprit la société à son départ à la guerre et construisit l’usine en plein centre de Saint-Junien en 1955. Lasse, celle-ci mourut avant la cinquantaine. Mais sa fille reprit le flambeau en 1965 avec la même détermination et sut pérenniser l’établissement malgré la désaffection du public pour un accessoire connoté bourgeois. Durant deux décennies, elle mit le savoir-faire de l’entreprise au service des maisons de luxe et put ainsi hisser celle-ci au niveau de qualité indispensable à sa survie.

Gant fantaisie avec piqûre et broderie.

Une histoire de femmes

Toutefois, lorsqu’elle intègre l’effectif en 1986, sa fille, Sophie Grégoire, se trouve face à un nouveau défi. « Il fallait produire moins cher pour s’adapter au marché, raconte la dirigeante, troisième génération de femmes à la tête de la ganterie. En 1988, je suis partie aux Philippines ouvrir un atelier. » En 1999, la société est vendue au groupe américain Wells Lamont, leader du gant de travail. Mais celui-ci se ravise finalement au bout de deux ans et décide de se séparer de sa pépite française. Agnelle revient alors en 2001 dans le giron familial, racheté par Sophie Grégoire, résolue à en faire un fleuron de l’artisanat français. Dix ans plus tard, elle reçoit les Insignes de Chevalier de l’Ordre National de la Légion d’Honneur, en consécration d’une carrière exemplaire.

Artisan avant tout

Aujourd’hui Agnelle emploie une vingtaine de collaborateurs et réalise « entre 3 et 4 millions d’euros de chiffre d’affaires, dont la moitié à l’export ». Elle propose deux collections par an, fabriquées indifféremment dans ses deux ateliers de Saint-Junien et des Philippines. Majoritairement féminines et principalement hivernales, celles-ci comptent une centaine de modèles chacune. « Nous développons la ligne masculine, avec un modèle de gants de moto par exemple, déclare la responsable… Notre activité présente deux difficultés majeures : conserver le savoir-faire qui n’est plus enseigné aujourd’hui et gérer la saisonnalité avec la trésorerie et l’aide de nos partenaires bancaires. Nous jouons aussi sur les doublures, en laine, soie ou fourrure, pour orienter un modèle sur le plein hiver ou l’entrée de saison. » Doublure que la maison peut changer en cas de déchirure moyennant une somme très modique. Elle propose aussi de réparer les paires endommagées ou décousues et de remplacer un gant perdu.

Innovation et création

Mais pour donner l’envie aux consommateurs de renouer avec cet accessoire, elle s’évertue à le moderniser, en l’ajustant à de nouveaux usages. « Avant, le gant était un instrument de distinction sociale. Aujourd’hui, il faut l’adapter à de nouveaux besoins, comme la pratique du vélo ou de la trottinette en ville ou l’utilisation du téléphone portable que nous permettons grâce à une petite pièce en cuir conducteur au bout de l’index et du pouce. Ce type de cuir est moins beau ; nous gardons donc le reste du gant en agneau plongé pleine fleur », explique Sophie Grégoire. Mais c’est également en insufflant de la création qu’elle parvient à rendre le gant plus désirable. « C’est la touche finale d’une silhouette qui la rend plus élégante et singulière. Nous proposons beaucoup de création dans nos collections. Nous collaborons ponctuellement avec des créateurs comme Jean-Charles de Castelbajac. Et c’est un objet très personnel aussi, qu’on peut singulariser avec des broderies de patchs, la perforation des initiales ou une confection carrément sur-mesure », précise cette passionnée.

Le cuir au bout des doigts

« Le gant est un produit avec une forte présence de la matière », affirme Sophie Grégoire. Aussi accorde-t-elle une priorité à la qualité des peaux qu’elle achète principalement en France. « Notre agneau plongé vient de la mégisserie Colombier, également installée à Saint-Junien, en qui nous avons toute confiance. Nous achetons le double-face au Portugal et le peu de cerf et de pécari que nous utilisons à des tanneries italiennes, poursuit la gantière. Nous consommons entre 150 et 200 000 pieds par an. Nous possédons 50 couleurs en catalogue mais la moitié de nos ventes sont en noir. Nous créons régulièrement de nouvelles teintes suivant les prescriptions du bureau de tendances de la profession ». Présente aux Galeries Lafayette et au Bon Marché depuis la fin des années 1980, la marque est également distribuée par les grands magasins étrangers – Tsoum en Russie, Bergdorf Goodman et Saks Fifth Avenue aux Etats Unis -, un réseau de détaillants multimarques et divers sites internet (matchesfashion, Net-à-Porter, Farfetch). Mais elle possède aussi son propre canal avec une boutique à Paris, rue Duphot, ouverte en 2016, et un e-shop en progression. Malgré le lancement d’un sac en septembre prochain « de type shopping bag, léger et souple, avec une très belle matière », la dirigeante n’envisage pas de diversification de l’offre, persuadée des perspectives d’avenir encore offertes au gant. Le fléau sanitaire qui touche actuellement toute la planète pourrait bien lui donner raison.

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Rédaction François Gaillard
Photos © Adrien Poznanski

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