La botte camarguaise, labellisée après la charentaise
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Le secteur de la chaussure en Italie marche à deux vitesses avec d’un côté les spécialistes des baskets qui surfent sur la tendance actuelle et connaissent une croissance soutenue, et de l’autre, les marques proposant un produit plus classique mais accusent le coup.
La crise économique et les évolutions de style ont un impact très important sur les Marches, la région traditionnelle pour la fabrication de chaussures en Italie. Elle pèse près d’un tiers de la production italienne et regroupe plus de 1500 entreprises qui emploient près de 20 000 personnes, avec un chiffre d’affaires estimé à plus de 2 milliards d’euros. Côté export, le principal marché s’est refermé en 2014, lorsque les tensions internationales liées à l’Ukraine ont conduit l’Europe à appliquer des sanctions économiques contre la Russie. Depuis, les ventes avec Moscou ont chuté et, alors que l’Italie exportait en 2013 plus de 600 millions d’euros de chaussures vers la Russie, ce chiffre est tombé en 2017 à 340 millions – soit une baisse de 40 % – et devrait diminuer encore en 2018 de l’ordre de 8 à 10 % supplémentaires. L’ensemble de ces facteurs a déclenché une série de fermetures d’entreprises ou de demandes de « concordato preventivo », une procédure judiciaire consistant à payer une proportion des dettes accumulées par les entreprises en échange de la poursuite de leurs activités.
L’épicentre de la crise se concentre dans la région des Marches, où près de la moitié des exportations étaient destinées directement ou indirectement à la Russie. Arturo Venanzi, président du comité russe de Assocalzaturifici et responsable commercial de l’entreprise Franceschetti, située au cœur de l’industrie de la chaussure des Marches et spécialisée dans les produits haut de gamme pour homme, explique que « notre région de production repose sur une chaussure de ville avec une semelle de cuir. La Russie constituait pour nous un marché essentiel qu’il nous est très difficile de remplacer à présent. Comment vendre des chaussures de ville à de jeunes occidentaux qui sont habitués à ne porter que des baskets ? ».
Ainsi, en très peu de temps, la situation a affecté non seulement des dizaines de petites entreprises anonymes mais aussi de grandes marques connues et reconnues à l’international telles que Aldo Bruè (produits haut de gamme pour hommes), Alberto Guardiani (baskets haut de gamme), Zeis Excelsa (avec la marque Bikkembergs), Alma (née des cendres de Manas), Tiberio Formentini ou encore Cesare Paciotti, Fabi, Fornari, Elisabet et Progetto, avant elles. Toutes ces entreprises ont connu une baisse de leur volume d’activité et de leurs effectifs. « Seules les entreprises reconvertissant leur production pour le compte de grandes marques sont épargnées, mais c’est un processus qui prend du temps et qui appauvrit le territoire concerné », a déclaré la syndicaliste Valentina Gennari (Filctem-Cgil).
Le paroxysme de la détresse a été atteint avant l’été, lorsque les fabricants de chaussures ont présenté, à travers leur région d’origine, une demande de reconnaissance d’un « état de crise grave » auprès du ministère italien du développement économique. Ces entreprises espéraient une réponse dans le mois et, le cas échéant, auraient bénéficié de mesures spéciales permettant de relancer leurs activités. Au lieu de cela, le temps s’est écoulé et, entre la formation du nouveau gouvernement, les vacances estivales et les problèmes à l’automne, liés aux lois budgétaires et au conflit avec l’Union européenne sur l’utilisation de la dette, le ministère n’a pas donné suite.
Les revendications portaient sur la réduction des charges salariales dans les phases de découpe et de couture, étapes du cycle de fabrication nécessitant le plus de main d’œuvre, soumises à une forte pression fiscale et contraignant les entreprises à implanter leurs activités en Europe de l’Est et en Afrique du Nord. « Ces délocalisations remettent sérieusement en question la survie de la totalité de la chaîne d’approvisionnement de notre région. Cependant, avec une réduction de 25 % des charges sur les coûts du travail, nous pourrions devenir concurrentiels », affirme Enrico Ciccola, entrepreneur chez Romit et Président de la section chaussure de Fermo et Ascoli Piceno, l’un des promoteurs les plus ardents d’une autre bataille que livre l’Italie – en vain – depuis des années à Bruxelles : celle d’un étiquetage obligatoire « made in ».
Jusqu’à présent, l’Italie est considérée comme un géant de la chaussure – le leader du secteur en Europe avec un chiffre d’affaires de près de 7,8 milliards d’euros et une production avoisinant les 200 millions de paires – en déclin lent mais constant. Mais tout n’est pas négatif.
Bien que les niveaux de production de la chaussure italienne aient chuté, avec une diminution de moitié du nombre de paires au cours des dix dernières années et une baisse de 75 % de la production entre 1986 (531 millions de paires) et 2016 (188 millions), les résultats en valeur ont été positifs, avec un prix moyen en hausse constante. En outre, le secteur est devenu un partenaire indispensable pour tous les acteurs du luxe.
Ce n’est pas un hasard si les chaussures en diamant lancées à Dubaï par la marque Jada au prix de 17 millions de dollars la paire – ce qui en fait la paire la plus chère au monde – ont été produites en Italie, avec des talons aiguilles recouverts d’or, une rangée de diamants se terminant à la pointe par une gemme pure de 15 carats.
Au-delà de cet exemple extrême, ce n’est pas une coïncidence non plus si le groupe LVMH a installé sur la Riviera del Brenta, près de Venise, le siège pour la chaussure des marques Louis Vuitton, Christian Dior et Celine. Ou si la Manufacture Berluti, qui produit les plus belles chaussures pour hommes pour le groupe français, est basée à Ferrara, près du fleuve Pô. De même, Kering a continué d’assurer, plus ou moins, la totalité de la production de ses marques en Italie (à Venise, dans les Marches, en Toscane et dans d’autres régions), y compris celle de la marque espagnole Balenciaga, qui continue de produire des articles de cuir en Espagne mais qui se tourne vers l’Italie pour la chaussure.
Les chaussures Chanel, Louboutin ou « Manolo » immortalisées par la série Sex and the city sont également produites aux environs de Milan.
Au fond, la chaussure italienne a été « contrainte » de se positionner sur le très haut de gamme, notamment après la crise de 2008-2009, aggravée par la chute de la consommation du marché intérieur apparue en 2013. Ce repositionnement vers le haut du marché a provoqué une contraction de la production mais a permis de maintenir en vie la chaîne d’approvisionnement. Il n’y avait pas d’autre solution. Et la tendance se confirme étant donné l’actualité en Italie.
D’une part, les plus petites marques connaissent des cessations d’activité, les entreprises qui les produisaient devenant les sous-traitants de marques plus importantes. D’autre part, des groupes financiers internationaux ou partenaires asiatiques prennent des participations au capital de marques plus importantes. Un soutien financier s’impose pour les marques qui souffrent des limitations de crédit de la part des banques. Parmi les exemples citons A.Testoni, un autre nom réputé de la chaussure italienne pour hommes, basé à Bologne et acquis en novembre par le groupe chinois Sitoy.
Cependant, la chaussure italienne demeure un leader mondial. En dehors de la région des Marches, le centre névralgique de la production est la Vénétie que les marques françaises (sur la Riviera del Brenta) et les géants du sport (région de Montebelluna) affectionnent particulièrement. Vient ensuite la Toscane, qui est devenue la base opérationnelle de Prada, Gucci et de bien d’autres marques italiennes et internationales. Deux autres régions performent dans le sud de l’Italie, à savoir Naples et Lecce, qui sont parvenues à attirer les marques de sneakers en diversifiant leur production – traditionnellement de mocassins pour ce qui est de Lecce – pour la mettre à niveau et devenir ainsi les partenaires des plus grandes marques du luxe.
Rédaction Andrea Guolo
Photos © Alain Gil-Gonzalez
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