Rose Saneuil repousse les limites de la marqueterie

Rose Saneuil a réalisé pour Piaget le cadran Undulata, Grand Prix d’horlogerie de Genève 2023, catégorie Métiers d’Art. Il se compose de sycomore, paille, parchemin, cuir de truite, élytres de scarabée - Photo © Studio Contraste.

Les Talents du Luxe et de la Création 2024 l’ont non seulement nominée pour son innovation mais aussi primée dans la catégorie Métiers d’Art. Rose Saneuil, devenue marqueteuse sur le tard, réalise de précieuses créations pour les grandes maisons de luxe international. En dix ans, la spécialiste en marqueterie miniature multimatières a su imposer sa signature, sa dextérité, son inventivité. C’est dans son atelier qu’elle opère en plasticienne, mariant le cuir à la loupe de noyer, la feuille d’or, la coquille d’œuf… Ses marqueteries de haute précision croisent défis techniques et imaginaire poétique.

L’année du tigre en 2022 a inspiré un coffret à cigares Davidoff. Le cuir de veau voisine sur la marqueterie avec divers matériaux, paille, feuille de tabac, parchemin, essences de bois… - Photo © Oettinger Davidoff.

Comment avez-vous découvert la marqueterie ?

Je l’ai vraiment découverte quand j’ai repris l’école à 31 ans à l’école Boulle, il y a plus de 20 ans, pour apprendre l’ébénisterie. Dans ma formation, il y avait des cours de marqueterie et cela a été une révélation dès le début. L’hyper technicité de ce savoir-faire, mélangée à une dimension très artistique, m’a tout de suite séduite.

Quand avez-vous décidé de vous orienter vers la marqueterie multi matériaux ?

 Cela s’est fait au fil du temps, des projets, des rencontres. Le cuir, par exemple, y a rapidement contribué.  Je travaillais alors chez Elie Bleu Tabletier, une entreprise fabriquant des coffrets pour des marques de luxe. Notamment pour Hermès, où il a fallu ennoblir le couvercle d’un coffret avec une pièce de cuir. Comme il restait des chutes, j’ai cherché la manière dont je pourrais techniquement les intégrer dans mon travail. Charles Kaeser a été mon premier client à mes débuts en 2013. Il m’a demandé de créer des décors en marqueterie multimatières sur des remontoirs à montres. Depuis, je peux travailler toutes les matières dites « souples ». Pour moi, maîtriser la technique, c’est s’affranchir. J’aime réinventer la tradition, dépasser les limites.

Marqueterie décorative : le tableau A-prez est un paysage texturé qui mêle harmonieusement cuirs et bois précieux - Photo © Éric Valdenaire.

Vous avez mis au point votre propre technique. De quoi s’agit-il ?

Ma technique s’appelle « élément par élément ». Je commence par préparer une à une les matières que j’ai choisies. Je scie, ensuite, chaque élément du décor selon le dessin établi, avec une scie à chantourner. Pour la miniature, j’ai besoin d’une loupe binoculaire et d’un outil à main. J’utilise plusieurs pinces brucelles plus ou moins fines, qui sont, en quelque sorte, le prolongement de mes doigts. Chaque création exige de nombreuses heures de travail.

Quelle est la spécificité du cuir dans votre pratique ?

C’est un matériau intéressant, dont la souplesse par exemple, contraste avec d’autres, qui sont naturellement durs, comme la nacre. Pour pouvoir travailler le cuir, je dois le renforcer par en dessous afin de le rigidifier. C’est pourquoi je le fais refendre à une épaisseur de 0,4 mm. Puis je place la matière dans un « paquet » afin de pouvoir scier les pièces faisant partie d’un motif.

Les dessins que vous composez sont d’une extrême minutie. Comment naissent-ils ?

Je fais mes propres créations, souvent inspirées de la nature. J’aime les détails, la lumière, le dégradé de couleurs. Lorsque je travaille pour les marques, les designers me fournissent un dessin d’intentions en couleur. À moi de proposer les matériaux adaptés, telle une palette de peinture. Il faut ensuite s’assurer de la faisabilité du dessin technique. L’art de la marqueterie est un jeu de patience, de dextérité. La marqueterie miniature est encore plus complexe car la précision doit être millimétrée. Les contraintes sont multiples. Bien souvent, la lame de scie est plus grosse que certaines pièces… Je réalise tous mes dessins sur le logiciel de dessin Illustrator (Ai). Ainsi, j’ai un dessin très précis, quelle que soit l’échelle, et je peux facilement faire une simulation de ce à quoi ressemblera le décor final.

L’envie de créer un décor en marqueterie sur un support inédit pour elle a conduit Rose Saneuil à se former en maroquinerie. Myosotis est son premier sac à main en alligator et marqueterie en cuirs de saumon, agneau, veau… - Photo © Woytek Konarzewki.

Les variations d’échelles – de la marqueterie miniature au panneau grand format – caractérisent votre travail. Pourquoi ce choix ?

La diversité est un grand avantage dans ma pratique. J’aime travailler un moment sur un cadran de montre, puis sur un coffret, et revenir sur un bijou. Selon l’échelle, je prépare mes matières différemment. Je suis, en effet, limitée en épaisseur sur les petites pièces, ce qui n’est pas le cas pour les tableaux.

Pour réaliser un premier sac à main, vous vous êtes formée à la maroquinerie. De quelle manière ?

Je me suis formée chez Laurent Charby, Le Sellier de Navarre, dans le nord de Paris. J’ai bénéficié d’une formation à la carte qui m’a beaucoup intéressée. Je tenais à gérer entièrement ce projet. J’étais curieuse de découvrir le savoir-faire. J’ai adoré apprendre de nouveaux gestes, manipuler le cuir, comprendre la fabrication… Il y a beaucoup de similitudes avec mon métier, c’est très technique pour obtenir un objet esthétique et utile, à la fois. Dès que j’ai un peu de temps, je continue cet apprentissage. J’ai pu faire un second sac avec ce même système de décor en marqueterie interchangeable.

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Rédaction Nadine Guérin

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