Olivier Jault, Designer chaussures pour Repetto
et Jean-Paul Gaultier

Olivier Jault designer chaussure
Olivier Jault, designer chaussures pour Repetto et Jean-Paul Gaultier.

Professionnel reconnu de la chaussure, Olivier Jault revient pour Leather Fashion Design sur son brillant parcours dans le secteur. Il se confie sur son travail de designer, ses inspirations, ses références et ses préférences en matière de cuir. Entretien avec un passionné.

Quel a été votre parcours pour devenir styliste chaussures ?

Après un baccalauréat littéraire option arts plastiques, j’ai passé le concours de l’École  Supérieure des Arts Appliqués Duperré et intégré la section mode et accessoires. J’en suis sorti avec une licence en arts appliqués et ai présenté à cette occasion ma première collection de souliers. Pour me perfectionner dans la chaussure, j’ai suivi une formation technique aux métiers du cuir à l’AFPA. J’étais intéressé par la mode et le design et j’ai très vite senti que la chaussure pouvait synthétiser ces deux passions en tant qu’objet. Le côté tridimensionnel de la chaussure m’a tout de suite fasciné et j’ai décidé d’emblée de m’y consacrer, même si la chaussure était une voie moins évidente, moins tracée pour un jeune styliste.

Comment a débuté votre carrière professionnelle ?

Après divers stages en entreprises, j’ai trouvé un premier poste dans un studio de création spécialisé dans la conception et le suivi de collections de chaussures pour différentes marques. Ce travail a confirmé mon choix premier et j’ai alors pu proposer mes services à différentes maisons. J’ai commencé chez Givenchy, à l’époque d’Alexander McQueen, où j’ai vécu trois années très enrichissantes. Je suis ensuite entré chez Yves Saint Laurent, sous l’ère Tom Ford, où je suis resté deux ans. Et j’ai enchaîné après avec d’autres expériences, dans des maisons comme Cacharel ou J. M. Weston, qui m’ont aussi beaucoup appris.

Vous avez alors rejoint Repetto…

Oui, en 2002. J’ai immédiatement pris la responsabilité des collections de chaussures, pour lesquelles il y avait tout à faire. On m’a laissé carte blanche pour faire de Repetto une vraie marque de chaussures de mode. Je suis reparti des origines de la marque, de son ADN de fournisseur de chaussons de danse, de ses débuts avec Rose Repetto, qui créa cette maison sur les conseils de son fils Roland Petit. Mais il était nécessaire de ne pas se limiter à l’univers de la danse classique, d’ouvrir la scène, avec les danses de salon par exemple. Je me suis saisi de moments importants dans l’histoire de la marque, comme l’idylle entre Repetto et Brigitte Bardot qui commanda les ballerines Cendrillon en 1956 pour son film Et Dieu créa la femme.

Comment avez-vous construit et développé l’offre de Repetto ?

J’ai d’abord élargi la gamme de couleurs, avec des teintes multiples, aux noms évocateurs comme Dijon pour le jaune moutarde ou Cirque pour le rouge vif. J’ai proposé le merchandising en rond des modèles, en allusion aux rondes des danseuses à l’Opéra. De nouvelles typologies de chaussures ont enrichi l’offre, comme le mocassin en 2011, baptisé Michael en référence à Michael Jackson et qui a été un gros succès. Des modèles à semelles gomme ont permis de développer les collections hivernales. Mais j’ai également beaucoup joué sur les matières pour renouveler l’offre chaque saison, avec de nouveaux cuirs au répertoire matériel de la marque, comme la chèvre velours, le veau nappa et le vernis, dont je suis assez fier car nous avons mis au point un vernis souple, adapté à la technique du cousu retourné utilisée pour la fabrication des ballerines. C’est aujourd’hui un bestseller. Je recours également sans tabou à des cuirs fantaisies, comme des cuirs grainés façon bambou, cannage de chaise, tressé ou cuir de Cordoue, des cuirs embossés de motifs comme des logos et même du cuir pailleté. Repetto supporte bien le style girly un peu clinquant, à la limite du kitsch. Je vais jusqu’aux cuirs exotiques aussi, particulièrement le python, qui est très visuel et convient bien à la ballerine tout en étant moins cher que le croco. Pour résumer, je dirais que, pour moi, la création réside à 60 % dans la forme et à 40 % dans la matière.

Comment vous êtes-vous formé au cuir et quelles sont vos préférences en la matière ?

Je me suis familiarisé au cuir pendant ma formation à l’AFPA puis durant mon stage chez Martin Margiela. Mais j’ai aussi découvert le cuir par moi-même, en fréquentant les salons, en particulier Première Vision Leather – autrefois Cuir à Paris – durant lequel j’ai beaucoup échantillonné pour me constituer une banque de matières, que j’actualise régulièrement. J’aime bien sûr les belles matières, le bel agneau plongé classique qui est le cuir de référence pour la ballerine. Dans la chaussure, le toucher, la sensualité et le confort, bien sûr, de la matière sont très importants. Mais je ne suis pas un puriste rigoriste du cuir et je ne m’interdis aucune fantaisie si elle me parait pertinente. Le cuir est aussi un formidable support visuel, permettant beaucoup de créativité. Par exemple, j’ai eu l’idée de reproduire un motif marbre sur de la chèvre, en finition brillante. J’avoue toutefois apprécier modérément les peaux imitant les tissus dont je perçois moins l’intérêt esthétique.

Comment sélectionnez-vous vos matières pour vos collections chez Repetto ?

coup de cœur et sans a priori. Je me replonge dans mes stocks d’échantillons pour trouver des inspirations. Je suis très à l’écoute des nouvelles propositions des tanneurs, avec lesquels je passe du temps à faire des adaptations et mettre au point des coloris exclusifs. Mais j’accorde aussi beaucoup d’importance aux qualités techniques des articles, dont je fais systématiquement tester, dans le laboratoire de Repetto à l’usine de Saint Médard d’Excideuil et ceux de CTC, la résistance au montage et au porter. Les idées me viennent à tout moment et j’ai toujours avec moi un petit carnet où je les note immédiatement. Le hasard peut aussi m’apporter son lot d’inspirations. J’ai récemment découvert, dans l’héritage d’une grand-tante, un sac Hermès des années 60 en cuir de baleine que j’ai fait expertiser et dont j’ai fait reproduire le grain. Je suis aussi collectionneur de chaussures que je chine dans les brocantes en France et à l’étranger. Je possède près de huit cents paires de chaussures (à 90 % féminines) de différentes époques du XXème siècle. J’ai une grande admiration pour Charles Jourdan, André Courrèges et des marques comme Xavier Danaud. Et je rêve de retrouver un jour la qualité des finitions or métallisées de chaussures des années 30.

Parlez-nous aussi de votre travail pour Jean-Paul Gaultier 

Je collabore avec Jean-Paul Gaultier depuis neuf ans, d’abord sur toutes les collections de chaussures, et maintenant pour la haute couture. Cette collaboration est pour moi très enrichissante car la créativité débordante de Monsieur Gaultier et sa soif d’innovation m’ouvrent des champs créatifs immenses où je peux expérimenter les idées même les plus farfelues, comme dans un laboratoire. Par exemple, pour la collection automne hiver 2018 2019 intitulée Smoking No Smoking, j’ai commandé au fournisseur de peaux un article imprimé de volutes de fumée. Une autre fois, c’était un cuir imprimé grain de poudre. Je peux me permettre de faire de la super fantaisie sans que cela ne tombe jamais dans la vulgarité ou la facilité. C’est là tout le talent de ce grand génie de la mode !

Que pensez-vous du marché de la chaussure actuellement ?

L’offre est très large mais la demande est assez concentrée. Je me déplace surtout à vélo, mais lorsque je marche dans la rue ou voyage en métro, j’observe beaucoup les pieds des Parisiennes et des Parisiens. Les gens veulent maintenant du confort, même en ville et au travail. Ce qui explique le succès de la sneaker. Les chaussures à talons n’ont plus le même usage aujourd’hui : elles ne sont plus un outil d’affirmation de la féminité comme avant mais plus un accessoire occasionnel. Les tendances sont trompeuses. On ne pourra pas déshabituer les femmes du port de la basket et elle restera indétrônable dans leurs usages. Mais le confort peut aussi être dans une belle paire de boots de type Chelsea, ou des Clarks qui concilient le confort d’un cuir souple et le chic d’une chaussure de ville. Le confort ne doit pas être incompatible avec l’élégance. Les marques qui s’en sortiront seront celles qui continueront à faire ce qu’elles maîtrisent, tout en sachant surprendre leurs clients. En ce moment, je ressens un fort potentiel créatif dans la semelle cuir, où peu d’innovations ont encore été proposées.

Comment voyez-vous l’avenir du cuir ?

Le cuir me paraît toujours irremplaçable. Je ne suis pas très enthousiasmé par les matières alternatives : elles doivent encore faire leurs preuves, et sous des appellations propres et adaptées, qui ne prêtent pas à confusion. De son côté, le cuir doit se faire le plus respectable possible, pour continuer à être aimé des consommateurs. La filière doit faire les efforts nécessaires pour être intègre et inattaquable.

Rédaction François Gaillard
Photo © Corinne Jamet

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