Dans la manufacture
J.M. Weston, le chausseur français

Finition des tranches à l’applicateur.
Finition des tranches à l’applicateur.

Acteur historique de la chaussure depuis 1891, J. M. Weston est aussi un des tenants majeurs du travail du cuir dans l’Hexagone. En toute transparence, pour montrer la rareté de ses compétences et le niveau de son excellence, il nous a ouvert les portes de ses ateliers limougeauds. Visite dans un haut lieu d’exigence et de savoir-faire.

Un peu d’histoire

Comme beaucoup de belles et longues histoires, celle de J. M. Weston commence modestement, à Limoges où Eugène Blanchard fonde une manufacture de chaussures en 1891. Mais son fils, visionnaire à la manière d’un Aristide Boucicaut, flaire le potentiel de l’entreprise familiale pour faire du petit chausseur régional une marque de référence prisée du gotha parisien. À la suite d’un voyage aux États-Unis pour importer la technique du cousu goodyear dans ses ateliers, il rebaptise donc la société J. M. Weston – du nom de la ville où il séjourna – et ouvre une boutique sur les Champs Élysées en 1932. En 1946, la maison crée son fameux mocassin 180 qui fera son succès dans les années 1980. Mais après une ère d’euphorie « où il y avait la queue devant les boutiques » dixit le directeur industriel Gilles Lapierre, la marque connaît une petite baisse de régime, même si elle garde une clientèle d’inconditionnels.

Repositionnement luxe

Aujourd’hui la griffe – propriété du groupe EPI depuis 1971 – connaît une nouvelle période de croissance grâce à un repositionnement luxe, une évolution de son offre vers des modèles masculins plus nombreux, plus mode et créatifs et également le développement des collections féminines, sous la férule du nouveau directeur artistique Olivier Saillard. « Nous ne renions pas notre passé et restons des spécialistes des souliers structurés intemporels. Mais nous ouvrons notre gamme aux nouveaux usages avec des sneakers, par exemple, dont nous sous-traitons la fabrication. Avant, les modèles féminins étaient de simples déclinaisons des modèles masculins et ne représentaient que 7 % du chiffre d’affaires contre 81 % pour leurs équivalents masculins. Nous voulons évoluer vers une offre féminine plus spécifique » explique Gilles Lapierre. La maroquinerie, qui ne représente aujourd’hui, avec les ceintures, que 12 % de l’activité, va également être développée. Mais toutes ces belles intentions ne seraient pas plausibles sans l’existence d’un outil hors pair : la manufacture.

Atelier bichonnage
À l’atelier de bichonnage, les dernières finitions sont apportées pour livrer des chaussures parfaites.

Parcours complet

Réimplantée dans la zone industrielle à la périphérie de la ville depuis 1989, la manufacture se déploie sur 10 000 m² et emploie cent soixante dix artisans. Entièrement consacrée à l’offre de J. M. Weston, elle produit environ 100 000 objets par an dont 70 000 paires de chaussures. Principalement vouée à la fabrication de paires neuves, elle a internalisé la réparation, proposée par la marque à ses clients, depuis 1991. Et elle exauce aussi les vœux particuliers de clients en mal d’exclusivité, tels que le choix d’une peau spéciale, d’une couleur, d’un détail ou d’une pointure hors norme comme le 58 de ce basketteur « littéralement aux anges à la vue de ses premières chaussures en cuir, déclare le responsable. Nous ne faisons pas de modèle sur-mesure en tant que tel, mais proposons toutes nos chaussures en cinq largeurs par demi-pointure. Ce que nous appelons du prêt à chausser, garantissant un maximum de confort ». Intégrant toutes les opérations de fabrication d’une chaussure, la manufacture est divisée en différents secteurs selon les grandes étapes de la confection.

Peausseries de qualité

Un premier atelier conserve les stocks de matières, sélectionnées peau par peau en tannerie par les coupeurs. « Nous sommes d’une exigence intraitable avec la qualité des peaux, tant par leur aspect que par leurs caractéristiques mécaniques. Les semelles et les premières de montage en cuir bovin de tannage végétal proviennent toutes de notre tannerie Bastin à quelques kilomètres d’ici. Les cuirs de tige, principalement en veau, sont sourcés à 95 % dans des tanneries françaises, en particulier les Tanneries du Puy, qui produisent un cuir de la qualité que nous revendiquons. Pour l’instant, nous utilisons principalement du cuir lisse mais les peaux de premier choix sont de plus en plus rares et nous devrons sans doute, dans l’avenir, élargir notre palette de matières. Notre stock tourne mais dès que nous trouvons des peaux de qualité, nous les achetons. Nous utilisons aussi un peu de cuir ovin, toujours renforcé. Très peu de peaux exotiques. Et nous arrêtons l’emploi du requin, pour des raisons éthiques » indique notre guide de première classe.

Cuir de veau
Grand utilisateur de cuir de veau, J. M. Weston se fournit à 95 % chez des tanneurs français, le reste en Italie.

Une organisation millimétrée

Les peaux sont à nouveau contrôlées à réception, disposées sur des chevalets en fonction des ordres de fabrication et envoyées à l’atelier de coupe. Là, des artisans commencent par tester les propriétés mécaniques de chaque peau et en repérer les défauts. Ils placent ensuite visuellement, de façon optimale, en contournant au maximum les défauts, les différents morceaux à couper. « Chez les coupeurs, le critère de productivité n’est pas primordial. On compte en moyenne 30 % de chutes par peau, que nous revendons au poids. Le prix des peaux est donc essentiel pour nous. Le prix des peaux de veau que nous utilisons peut aller du simple au triple ; le cuir d’un veau pour doublure, par exemple, coûte 25 % d’un box de deuxième choix » stipule le dirigeant. Une machine coupe ensuite les différents éléments, sachant que les morceaux des deux pieds d’une même paire doivent provenir d’une seule peau. Les morceaux sont bien sûr marqués du côté droit ou gauche de la paire à laquelle ils se destinent, et du code de la pointure. Les différentes pièces de la tige sont ensuite assemblées dans l’atelier de piqure où sont réalisées une multitude de petites tâches sur des machines guidées manuellement par des opératrices. « Pour une tige, on compte jusqu’à cinquante opérations. En atelier de piqure, on crée environ 25 % de la valeur ajoutée du soulier » précise Gilles Lapierre.

Cousu Blake ou cousu Goodyear

À l’atelier de semelle, des artisans confectionnent, essentiellement par collage, les premières de montage. Certains composants, comme les talons en bois, sont fabriqués sur place ; d’autres sont achetés, comme les semelles en caoutchouc, même si elles sont conçues par le bureau d’études qui effectue aussi les prototypes et l’industrialisation des nouveaux modèles. Une zone est aussi dédiée à la réparation, ressemelage ou réduction de pointure. « On peut rarement agrandir la chaussure, parfois la réduire en tirant le cuir de l’intérieur. Nous réparons environ 10 000 paires par an » note Gilles Lapierre. Dans le parc à formes, où sont entreposées des milliers de formes correspondant à tous les modèles, dans toutes les pointures, les premières de montage sont agrafées manuellement sur les formes. L’atelier de montage, comme son nom l’indique, regroupe toutes les opérations de montage de la tige sur la semelle. Après humidification dans un tunnel, l’avant de la tige est tendu et collé sur la première de montage. L’arrière est ensuite clouté à la main. L’espace entre la première de montage et la semelle de marche est comblé avec un agglomérat de liège et de caoutchouc. Un cambrion est inséré sous la première de montage pour donner une stabilité à la chaussure. Cet ensemble est alors lié à la semelle d’usure selon deux méthodes : le cousu blake ou le cousu goodyear. Les formes sont ensuite retirées, le talon est collé et clouté et l’aspect de surface de la semelle est finalisé. À l’atelier de bichonnage, on enlève les traces éventuelles de colle, on cire et glace les chaussures et on pose la première de propreté. Au total, il aura fallu six à huit semaines pour produire une paire de chaussures.

10 000 paires sont réparées chaque année.
10 000 paires sont réparées chaque année.

Une affaire de femmes et d’hommes

Une durée considérable mais néanmoins incompressible pour maintenir le standard de qualité de J. M. Weston. « La manutention est très présente dans notre production. On compte environ 180 prises en main pour un mocassin. D’où l’importance des compétences de nos collaborateurs qui assurent la pérennité de notre savoir-faire, affirme le responsable. La nouvelle dynamique de la marque nous impose de recruter et d’assurer la relève. Le CAP Bottier de l’Education Nationale n’est pas suffisant pour le niveau de compétence que nous requérons. En 2015, nous avons ouvert l’École des Ateliers Weston, en partenariat avec Pôle Emploi et les Compagnons du Devoir, qui forme une dizaine d’artisans par an. Cette formation est diplômante ; les élèves ressortent avec un CAP et quelques uns intègrent l’entreprise ». Mais cette aventure humaine, J. M. Weston la vit aussi avec ses clients, souvent fidèles à la griffe de père en fils. Une fois par mois, elle ouvre donc les portes de sa manufacture et de sa tannerie de cuir de semelle aux plus méritants pour leur faire découvrir l’envers du décor et toutes les prouesses qu’elle réalise pour les satisfaire. Une belle marque de confiance et de gratitude, qui se traduit parfois en retour par des achats à la boutique de l’usine. Ce qu’on appelle une relation gagnant gagnant.

Les semelles de marche sont coupées à l’emporte-pièce.

J.M. Weston en données clés

1891 : Eugène Blanchard fonde la manufacture de chaussures à Limoges.
1932 : ouverture d’une boutique sur les Champs Élysées.
1946 : création du fameux mocassin 180 qui fera son succès dans les années 1980.
1971 : la marque devient propriété du groupe EPI.
1989 : la manufacture s’installe en périphérie de Limoges sur 10 000 m².
1991 : internationalisation des réparations.
2015 : ouverture de l’École des Ateliers Weston, en partenariat avec Pôle Emploi et les Compagnons du Devoir.

Répartition de l’activité : maroquinerie et ceintures 12%, chaussures 88%.
Production : 100 000 objets par an dont 70 000 paires de chaussures.
Réparation : 10 000 paires par an.
Sourcing : cuirs de veau à 95% issus de tanneries françaises.

Rédaction François Gaillard
Photos © Corinne Jamet @Taneka

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