« La Minute SLF x LFD » Nativité Rodriguez, Directrice Générale de L’Atelier des Matières
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La pratique du surcyclage, plus connue sous l’anglicisme « upcycling », a connu un essor important au cours des dernières années, notamment dans le domaine de la mode. Elle consiste à défaire des produits originaux pour en créer de nouveaux, de plus haute valeur ajoutée, à partir de leurs pièces constitutives. Cette pratique ne doit pas être confondue avec la vente de seconde main, qui consiste à revendre des produits originaux sans altération ni modification. Dans le cadre de l’upcycling, il s’agit de réemployer un produit existant (ou une partie de ce produit), en fin de vie ou non, pour en créer un nouveau, généralement différent du produit authentique initial : colliers confectionnés à partir de boutons de tailleurs, trenchs fabriqués à partir d’empiècements de sacs, chemises intégrant des parties de foulards, etc.
Cette pratique est souvent présentée comme correspondant aux objectifs de la loi AGEC du 10 février 2020 de lutte contre le gaspillage, dans la mesure où elle s’inscrit dans un cercle vertueux visant à réduire la surproduction en réemployant des produits existants et en évitant ainsi le recours à de nouvelles matières premières. Elle réduit également les déchets et permet de prolonger la durée de vie de certains objets. Néanmoins, aussi vertueuse soit-elle, la pratique de l’upcycling peut soulever des problématiques juridiques, notamment au regard des droits de propriété intellectuelle portant sur les produits initiaux transformés. Cela peut être le cas lorsque les pièces recyclées ne sont pas de simples tissus ou accessoires neutres, mais comprennent des monogrammes ou des logos de grandes maisons de mode : colliers reprenant des boutons siglés du double C de Chanel, empiècements de sacs frappés du monogramme Louis Vuitton intégrés à un trench, foulards Hermès transformés en chemises, etc.
D’une manière générale, l’usage dans le commerce d’une marque ou d’un logo identique ou similaire à une marque enregistrée sans le consentement de son titulaire peut induire le consommateur en erreur sur l’origine du produit et être constitutif d’acte de contrefaçon. Ainsi, des produits issus d’un procédé d’upcycling qui reprendraient un logo déposé peuvent être constitutifs d’actes de contrefaçon, quand bien même le logo aurait été apposé légalement sur le produit initial (par exemple, la reprise d’un bouton authentique siglé Chanel pour le transformer en collier).
Il est vrai qu’il existe des cas où un produit revêtu d’une marque peut être revendu librement sans obtenir l’autorisation préalable du titulaire des droits. C’est ce qu’on appelle l’épuisement des droits : si le titulaire d’une marque a consenti à la première mise sur le marché d’un produit siglé, il ne peut pas s’opposer par la suite à des reventes ultérieures. C’est notamment ce qui explique que la revente de seconde main est licite du point de vue du droit des marques.
Néanmoins, il existe une exception à ce principe d’épuisement des droits (une sorte d’exception à l’exception) : le titulaire d’une marque peut s’opposer à la revente d’un produit original lorsque celui-ci a fait l’objet d’une modification ou d’une altération de son état.
En matière d’upcycling, le produit original est souvent transformé, pour n’en récupérer qu’une partie et créer un produit nouveau à partir de cette base. Bien qu’il n’existe pas à l’heure actuelle de jurisprudence claire à ce sujet, cette pratique pourrait sans doute être considérée comme une modification ou une altération de l’état originel des produits commercialisés. Ainsi, la règle de l’épuisement des droits ne pourrait pas jouer : le produit upcyclé serait alors constitutif de contrefaçon.
Par ailleurs, les titulaires des droits bénéficient également d’autres leviers d’actions pour s’attaquer à la pratique de l’upcycling. Tout d’abord, les marques reprises sont généralement des marques de renommées, qui bénéficient d’une image de qualité dans le domaine du luxe. Or, certains acteurs de l’upcycling peuvent être tentés de faire volontairement planer un doute sur l’origine des produits concernés et laisser à penser que les produits proposés proviennent directement de la maison de luxe commercialisant les produits initiaux.
Par ailleurs, bien souvent, l’upcycleur tire indûment profit de l’image positive attachée à la marque d’origine pour mieux vendre ses produits à moindre frais. De même, lorsque les produits upcyclés commercialisés sont de piètre qualité, il existe un risque de dilution du pouvoir d’attraction de la marque d’origine, et notamment de l’image de qualité qui y est associée. Toutes ces pratiques peuvent être répréhensibles sur le plan du droit des marques, mais également sur le plan de la concurrence déloyale, du parasitisme, voire du droit de la consommation.
Enfin, certaines pièces reprises peuvent faire l’objet d’une protection par droit d’auteur, en parallèle d’une protection par le droit des marques, lorsque le produit concerné est original. Dans ce cas, la modification du produit initial, par exemple l’ajout ou le retrait d’empiècements à un modèle de robe en vue de sa revente, pourrait être constitutive d’atteinte au droit moral de l’auteur, et notamment d’atteinte à l’intégrité de son œuvre.
En résumé, les titulaires de droits disposent en théorie de nombreuses ressources pour faire valoir leurs droits à l’encontre de pratiques d’upcycling qu’ils n’auraient pas autorisées.
En cas de pratiques d’upcyling, il est donc fortement recommandé :
-d’indiquer clairement et sans ambiguïté l’origine du produit upcyclé, afin de ne pas laisser à penser qu’il est commercialisé par le fabriquant initial ;
-de contacter les marques concernées afin d’obtenir leur consentement exprès à la commercialisation des produits transformés siglés, notamment par le biais d’accords de licence de marques, ou des accords de licences croisées.
À ce titre, certaines marques spécialisées cherchent désormais à adopter des attitudes plus responsables d’un point de vue écologique et passent des contrats avec différents acteurs pour le réemploi ou le recyclage de chutes de cuir par exemple. Les pratiques d’upcycling peuvent parfaitement être intégrées à ce type de collaboration.
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Marie Faessel, experte CPI Marques, Dessins & Modèles – Cabinet Plasseraud IP
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