« Je respire l’odeur de cuir mouillé par la neige, de fumée et de pomme, l’odeur de toute ces journées d’hiver que nous avons connues avant les jeux. » Hunger Games, Tome 2, L’embrasement, Suzanne Collins, 2012.
Militaire, historique, peut-être un peu classique, cet accord cuir en parfumerie trouve son origine dès le XIXème siècle, avec cette fameuse odeur du cuir de Russie. Un cuir tanné à l’écorce de bouleau, de saule, de mélèze et de peuplier, corroyé à l’huile goudronnée d’essence de bouleau, qui donne à la matière une odeur toute particulière et une résistance à l’eau, bien utile à l’armée russe qui arpente steppes et paysages enneigées. C’est une famille olfactive qui se caractérise par des notes sèches, de bois brûlés, de fumée ou de tabac sensées reproduire (ou plutôt nous faire fantasmer) l’odeur du cuir.
Devenu exercice de style de nombre de maisons de parfums, d’abord associée à une certaine idée de la masculinité, cette note « cuirée » est aujourd’hui un terrain de jeu sans limite pour les parfumeurs. Un esprit rétro chez L.T. Piver, confidentiel avec le Russian Leather de Memo, classique, luxueux et plus addictif encore dans sa version extrait, les superlatifs ne manquent pas pour évoquer le troisième parfum lancé par Gabrielle Chanel, Cuir de Russie, imaginé en 1924 par Ernest Beaux, qui signera également pour la maison de la rue Cambon l’incontournable N°5…
Les propositions et les axes de travail sont divers, cela gagne nettement en sensualité avec un aussi addictif que raffiné Cuir Béluga chez Guerlain, créé par Olivier Polge et Sylvaine Delacourte pour la marque en 2005 et intégrant aujourd’hui L’Art et La Matière, la collection premium de fragrances d’exception du parfumeur. Oriental, chez Serge Lutens, avec ce Cuir Mauresque, une composition inspirée au créateur par l’odeur du cuir de Cordoue tanné et parfumé à l’écorce d’acacia par les maures en Andalousie dès le IXème siècle. 1963, Jean-Paul Guerlain imagine Habit Rouge, hommage au monde équestre. Le propos du parfumeur est de « retranscrire son odeur puissante et charnelle, mêlée aux effluves de cuir des harnachements », c’est depuis devenu un grand classique de la parfumerie. Esprit « tradi » encore, avec en 2019, pour la maison Matiere Premiere, créée par le parfumeur Aurélien Guichard, un puissant Falcon Leather, inspiré lui par le sillage des gants des fauconniers.
Plus expérimentale, la proposition de la maison Mugler qui, en octobre 2012, célèbre ses vingt ans de parfumerie. À cette occasion la marque propose dans des éditions limitées, une relecture de ses best-sellers. Renouant avec la tradition ancestrale des maîtres gantiers-parfumeurs, les jus des fragrances stars de la marque, Angel, A-Men, Womanity et Alien, ont été placés en maturation durant quatre semaines dans des cuves en inox conçues spécialement pour cette opération, au contact d’un cuir végétal (un procédé technique rendus possible grâce à la collaboration des laboratoires Clarins et du Centre Technique du Cuir). Les senteurs iconiques s’y révèlent plus charnelles, plus sensuelles, plus animales aussi. Et c’est aussi évidemment l’évocation d’une matière incontournable du travail et de l’imaginaire du couturier-parfumeur.
Mauvais genre, bad boy et perfecto de cuir inspirent, quelque chose aussi d’éminemment sulfureux autour de la symbolique cuir, qui ne pouvait que susciter l’intérêt des parfumeurs à la recherche de sillage pour séduire, de parfum pour attirer. Fantasme olfactif autour de la traduction en flacon des motards aux muscles moulés de cuir des dessins de Tom of Finland, pour cette marque aux concepts olfactifs souvent affirmés, État libre d’Orange, sur le site web, on peut lire une description de l’eau de parfum Tom of Finland qui ne laisse que peu de place quant aux intentions de ce jus ! « Le fantasme lui colle à la peau comme le cuir de son perfecto – daim, musc, ambre gris en notes de fond. On s’attache au métal de sa ceinture (sur un accord poivre et safraléine), on se frotte à sa sensualité daim blond sur un lit de vanille, de fève tonka et d’iris. »
Écho à la mode hyper sexualisée du couturier texan, les parfums « cuir » de Tom Ford sont eux aussi de puissantes évocations, des préludes à d’intenses instants, c’est le cas de Ombré Leather, mix de notes boisées, de tabac et cuir ou l’ultra voluptueux, Tuscan Leather, une note cuir emmenée par un accord d’épices et un puissant jasmin. Objet d’un véritable culte au début des années 2000, le Cuiron d’Helmut Lang, dans un flacon minimaliste, c’est un écho à la mode sexy et cérébral du créateur autrichien.
Le parfumeur Olivier Creed l’affirme « Mesdames, un homme ne se souviendra jamais de votre sac à main, mais il se souviendra de votre parfum. » Malgré cela les maisons de mode n’aiment rien tant qu’enfermer la substance de leur style, l’esprit de leur pièce iconique dans leurs parfums, les créations « cuirs » des couturiers n’y échappent pas !
En 2007, Jean-Claude Ellena « s’attelle » pour Hermès, à retranscrire l’aura et la légende du célèbre sac Kelly de la maison, avec Kelly Calèche, soit l’odeur d’un cuir précieux caressé d’un accord floral, rose, iris, jasmin, ylang-ylang, et que son créateur décrira comme un « parfum de cuir et de fleurs, aussi léger qu’une aile d’ange ».
Dernier lancement, un relooking plutôt du jus lancé en 2016, dans la série des Vestiaire de parfums de la maison Yves Saint Laurent, une collection de haute parfumerie qui rend hommage aux adresses, pièces et matières emblématiques du couturier, après la blouse, le tuxedo, le velours ou le grain de poudre, le dernier-né de la série, c’est Cuir, et là encore, comme une traduction olfactive de l’un des matériau fétiche d’Yves Saint Laurent, du blouson en croco et vison créé pour Christian Dior (haute couture Christian Dior, automne-hiver 1960) au début de sa carrière, jusqu’à ses manteaux de cuir qui ponctueront régulièrement les collections haute couture et prêt-à-porter Saint Laurent, Cuir, dans un flacon tout en sobriété ressuscite l’esprit et la vision aussi détonante qu’élégante de cette matière vue et décryptée par Saint Laurent. Balance et équilibre entre la puissance du oud, du clou de girofle et de la vivacité insolente de la cardamone, de la mandarine ou l’espièglerie de la feuille de violette…
Multifacettes et chargée de symbolique, tantôt historique ou bien prétexte à l’évocation tactile de cette matière, la note cuir n’en finit pas de susciter l’intérêt des parfumeurs. Dans son ouvrage, Le bal mécanique, paru en 2016, Yannick Grannec, synthétise cette attraction-répulsion que suscite ce sillage « cuir », dans sa description de l’orgue du parfumeur elle écrit, « Des odeurs de cuir, de bois. L’animal est sous le pétale. La chair et la pourriture. Oui, le sexe et la mort. Une Vanité en flacon », et c’est peut-être bien tous ces paradoxes olfactifs qui font de cette famille des « cuirs » en parfumerie un cas à part.
Inscrivez-vous à la Newsleather pour recevoir nos articles selon vos préférences de thématiques.
Rédaction Florent Paudeleux
Dans le monde de la mode, la tendance est un éternel recommencement. Il s'agit de trouver le juste équilibre entre les modes du moment et les indémodables. ...
Le dressing parisien reste une référence mondiale, alliant élégance intemporelle et modernité. En 2025, de nouvelles tendances viennent redéfinir ce ...
Historique, et même si on a parfois l’impression que c’est la fashion week à peu près…toutes les semaines, peut-être cette fois-ci, le mot n’est-il ...
