Le gant de Grenoble, une histoire méconnue

« Fait main. Quand Grenoble gantait le monde », tel est le titre d’un livre édité par Glénat*. Il accompagne l’exposition qui se tient au Musée dauphinois jusqu’en mars 2023. L’un et l’autre constituent un témoignage précieux sur une activité manufacturière, qui fut la première de la ville, marqua la production du gant en France et conquit le monde. Si le Grenoblois Xavier Jouvin a révolutionné la fabrication au XIXème siècle avec la « main de fer », le maître gantier Jean Strazzeri poursuit aujourd’hui une longue tradition artisanale ancrée sur le territoire.
La précédente exposition « La main du gantier » avait fait date par son exceptionnelle durée. Organisée d’octobre 1978 à décembre 1986, elle rendait hommage aux dernières ganteries françaises qui fermaient les unes après les autres. Des démarches de patrimonialisation sont désormais engagées pour inscrire la ganterie française au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. La tradition du savoir-faire isérois demeure vivante. Le Lycée du Dauphiné – labellisé lycée des métiers du cuir – propose une formation post-Bac, en alternance, avec le concours des gantiers français cherchant à perpétuer leur savoir-faire. Depuis 2008, la ganterie dirigée par Jean Strazzeri est reconnue Entreprise du Patrimoine Vivant (EPV) et le duo grenoblois Benjamin Cuier et Philippe Larguèze réinvente le gant fantaisie, à travers les marques FST Handwear et Brokante.

Jean Strazzeri, entre son atelier de Fontaine et sa boutique grenobloise, perpétue la tradition des maîtres gantiers - Photo © Denis Vinçon, Musée dauphinois.

Naissance et croissance

Les montagnes et les rivières de la région grenobloise ont favorisé très tôt l’élevage caprin et l’implantation de l’activité gantière. Les premières traces de gants remontent au Moyen Âge. Ils se diffusent rapidement en France et à l’étranger dès le XVème siècle. Le Duc de Lesdiguières, désireux de développer le travail du cuir dans le Dauphiné, a ainsi permis au Grenoblois Mathieu Robert de recevoir le titre de gantier parfumeur du Roi en 1606. La corporation des gantiers, établie à Grenoble un siècle plus tard, renforce une croissance continue tout au long du XVIIIème siècle. En 1787, par exemple, la ville compte 64 maîtres gantiers et produit 160 000 douzaines de gants, destinés à la France, l’Allemagne, la Suisse, la Savoie, le Piémont. Le gant fait, en effet, partie intégrante de la silhouette féminine mais aussi masculine. L’atelier de gantier, reconstitué au sein de l’exposition au Musée dauphinois, témoigne de la simplicité d’outils ancestraux qui caractérisent toujours la pratique de l’artisan.

La « révolution Jouvin »

Le gantier occupe une position spécifique, celle de fabricant marchand. Il achète en effet la matière première – la peau de chevreau, fine et délicate, en priorité – qu’il fait transformer en cuir par le mégissier ou qu’il achète, déjà mégissée. Les grandes manufactures du XIXème siècle ouvriront aussi leur propre mégisserie, à l’exemple de Rouillon, importante lignée de gantiers grenoblois. Le gant, traditionnellement, est découpé à la main au ciseau puis cousu, voire ennobli par les couturières et brodeuses. Dès 1820, Grenoble fait les premières tentatives pour mécaniser la coupe. Xavier Jouvin (1801-1844) est considéré comme le « rénovateur de la ganterie grenobloise ». En inventant les pointures de main et la « main de fer », il améliorera considérablement la fabrication du gant sur mesure. Son emporte-pièce métallique, qui permet de découper plusieurs épaisseurs à la fois, est récompensé lors de l’Exposition des produits de l’industrie française en 1839 à Paris puis adopté dans toutes les ganteries. Avec le « procédé Jouvin », l’industrialisation est en marche… La ganterie grenobloise devient un secteur florissant, faisant rayonner son savoir-faire du gant de luxe en chevreau à grande échelle.

Présentation de modèles de gants dans les années cinquante. Collection Musée dauphinois - © Universal Photo.

Un âge d’or au rayonnement international

Les gantiers grenoblois ont très tôt compris l’enjeu de faire connaître leur savoir-faire afin de développer leur activité. Certains, comme la famille Massu, ouvrent des points de vente à Paris. D’autres s’implantent à l’étranger. C’est le cas, par exemple, de Perrin qui s’installe à New-York, à Londres, au Canada et ouvre une usine de production aux États-Unis. Les expositions nationales et Universelles se révèlent de fructueuses vitrines pour élargir la diffusion du gant grenoblois. Telle The Great Exhibition of All Nations à Londres en 1851. Jusqu’en 1904, les gantiers de Grenoble exposent à Paris, Vienne, Philadelphie, Melbourne, Chicago, Saint-Louis… L’Angleterre et les États-Unis sont les deux principaux marchés d’exportation pour les gants. À la fin du XIXème siècle, une famille sur deux vit de la ganterie à Grenoble. Pour répondre à la demande, le modèle de l’usine prend le pas. En construisant de vastes bâtiments industriels, les ganteries Perrin, Vallier, Reynier ou encore Fischl ont largement contribué à montrer la modernité en devenir de la ganterie. Celle des frères Fischl est présentée comme l’emblème de la ganterie « moderne » tandis que la ganterie Reynier met en avant son laboratoire de recherches dirigé par une chimiste, qui travaille à l’amélioration des procédés de teinture et de mégisserie.

Le lycée polyvalent du Dauphiné propose une « formation complémentaire d’initiative locale » dans la ganterie - Photo © Denis Vinçon. Musée dauphinois.

Un héritage à transmettre

Les gantiers vont occuper une place importante dans la vie locale jusqu’à la Première Guerre mondiale. Certains seront même maires. La ville accueille, dès 1888, la Chambre syndicale des fabricants de gants de Grenoble, désireux de « développer l’industrie gantière locale » et publie la revue Ganterie, traduite en anglais et en espagnol. Le gant est toujours un objet d’élégance, de distinction, de protection contre le soleil et le froid mais l’Histoire fait évoluer les usages… Bientôt la main nue prend le dessus, reléguant le gant à des porters beaucoup plus restreints (cérémonie, sport, couture). Les manufactures se diversifient dans la maroquinerie, le commerce des peaux… Après les années 1970, les petites ganteries artisanales sont les seules à perdurer. Jean Strazzeri – le dernier maître gantier de Grenoble – l’illustre. Le natif de Sicile a débuté, comme la plupart des gantiers, en tant qu’apprenti coupeur avant de reprendre le flambeau de la maison Lesdiguières-Barnier. Ce Meilleur Ouvrier de France (MOF), diplômé Maître artisan, coupe toujours lui-même les gants qu’il vend dans sa boutique grenobloise et exporte parmi les accessoires de luxe. Il est aussi engagé depuis longtemps au sein de la Filière Française du Cuir. Avec une passion intacte, Jean Strazzeri défend, depuis plus de cinquante ans, le savoir-faire rare d’un métier d’art qui ne demande encore qu’à séduire.
Fait main. Quand Grenoble gantait le monde. Audrey Colonel et Anne Dalmasso. Éditions Glénat.

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Rédaction Nadine Guérin 

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