Pourquoi le cuir de Russie fascine tant ?
Il y a à peu près cinq ans, j’ai donc décidé de lancer un projet de recherche sur ce cuir particulier, à partir d’analyses de cuirs anciens et d’observations d’objets en cuir de Russie trouvés dans les musées. J’ai travaillé avec un parfumeur parce que le cuir de Russie n’est pas seulement un cuir, c’est aussi une odeur, c’est un cuir qui est très parfumé, qui sent le goudron, l’écorce de bouleau, le Lapsang Souchong, le whisky tourbé…une odeur qui a inspiré beaucoup de parfums et de parfumeurs dans les années 30, comme Chanel par exemple. Je suis aussi allée voir le dernier écorceur de France pour me fournir en écorces au moment où l’on a commencé à se dire qu’il fallait essayer de recréer ce cuir disparu.
Pour la petite histoire, c’est un cuir qui a été fabriqué en Russie dans la région autour de Moscou. Au moment de la révolution industrielle, et surtout de la révolution russe, les tanneries ont été démantelées, les dirigeants de tanneries ont été expatriés et la recette a disparu. Le cuir est resté mythique, toujours synonyme d’excellence, je dirais même de quintessence du cuir. Pendant très longtemps, on a essayé de le recréer. Au XIXe siècle, les Français essayaient déjà de refaire du cuir de Russie. Il y a donc eu beaucoup de copies, mais mon projet à moi était de le refaire vraiment à l’identique.
Combien de temps vous a-t-il fallu pour percer le mystère ?
Ça a été toute une recherche ! La tannerie Baker, dans le Devon, était prête à se lancer dans l’aventure. Le but du jeu n’était pas de faire un cuir commercialisable mais de se lancer dans une recherche technique et historique et de se dire « est-ce qu’on va y arriver ? ». Et puis on a réussi! On a sorti un cuir qui a vraiment les mêmes propriétés que le cuir d’origine, avec un grain très particulier, avec la même odeur et avec les mêmes propriétés anti-insectes et anti-moisissures. Je poursuis le projet en faisant des recherches avec le CNRS. On est en train de comparer notre cuir moderne au cuir ancien, et ça colle parfaitement. Même au niveau des teintures utilisées, on vient juste de découvrir qu’on utilisait du bois du Brésil comme à l’époque. Autant dire que le pari est réussi ! En cinq ans. Il y a d’abord eu les recherches historiques et muséales, puis la recherche de fournisseurs, à la fois de peaux de veau, d’écorces, d’huiles de goudron, de bouleau… et puis les premiers essais, en sachant que c’est un cuir qui met un an à se fabriquer. Entre le moment où le tanneur a commencé ses premiers essais et le moment où il a eu les premiers résultats, il y a donc eu des mois et des mois d’attente pour savoir si les modifications, les améliorations correspondaient bien.
De qui vous êtes-vous entourée pour recréer ce cuir mythique ?
D’un tanneur, d’un parfumeur, d’un écorceur, de chercheurs, d’historiens, de conservateurs de musée… Tout le monde s’est pris au jeu et a vraiment soutenu le projet. Le parfumeur, par exemple, qui est de la maison Givaudan, le leader international de la parfumerie, a mis à ma disposition un nez pour travailler sur le projet.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
Des difficultés qui n’étaient pas insurmontables, qui concernaient par exemple la traduction car quand on a des documents en russe et qu’on ne lit pas le cyrillique, c’est un peu compliqué, il faut faire appel à une traductrice.