De la scène au quotidien
La décennie suivante interrompt brutalement l’expansion. Les années 90 sont celles du SIDA, de l’anti fashion, du noir omniprésent… Mais Jitrois rebondit. « Le cuir fait partie du monde des bikers, rappelle-t-il. Il n’est pas étonnant que Johnny Hallyday soit sensible à son esthétique. Le blouson Cactus a été son premier achat. En 1993, il me commande trois tenues pour son concert au Parc des Princes. La première est celle d’un guerrier se jetant dans l’arène, souligne le couturier. C’est un perfecto en cotte de maille parsemé de clous, qui a la douceur du cuir et la force du métal. La deuxième est en croco teint, du même bleu que ses yeux. La dernière est à l’image de l’homme domptant la machine, en cuir noir cerclé de lames. » La maison de mode maîtrise parfaitement l’art de mettre en scène le corps. « J’aime que mes cuirs soient des aimants pour l’œil. Ma clientèle conçoit la liberté comme essentielle à l’expression de son art. J’ai toujours pensé que le vêtement était un renfort pour le « moi ». Il redonne le sens de jouer. Le cuir est un second « épiderme ». Il protège, rassure, libère le corps en même temps que l’esprit. » Artistes, icônes tourbillonnent dans la galaxie Jitrois. Le créateur, pour autant, continue à repousser les limites. Une innovation technologique redynamise la marque tout en la popularisant. Son cuir extensible, doux et souple à la fois, développé avec DuPont de Nemours et la mégisserie Cuirs du Futur à Graulhet, deviendra un phénomène. À l’aube du nouveau millénaire, le clubbing bat son plein et rend Jitrois toujours plus inventif. Le Skin Jean, lavable en machine, « confère un look décontracté et sportif », dit-il. Une pièce forte, fonctionnelle et sophistiquée, aussi atemporelle que multigénérationnelle, entre dans la garde-robe.
Intuitif et visionnaire
« La marque que j’ai construite à Nice représente un luxe à la française, dont l’excellence le dispute à la subversion », affirme Jean-Claude Jitrois. Pour l’imposer, le chef d’entreprise a aussitôt pris des chemins de traverse. À l’image de son premier défilé en guise de lancement, dans sa ville du sud, « à une époque où l’on ne défilait qu’à Paris ». L’initiative novatrice est un succès. Dès les débuts niçois, la marque est associée à des lieux, des ambiances singulières. C’est aussi le cas avec une tente plantée à Saint-Tropez, en plein été, qui affole la jet set. « J’ai compris que le monde était le terrain de jeu de mes clients », ajoute le styliste. C’est donc avec ses créations emballées dans des valises, qu’il entreprend de conquérir New York. À peine exposées, elles plaisaient par leurs coupes, la souplesse et le confort de l’agneau plongé… « Leur lieu de fabrication – le port de Nice – faisait son effet », poursuit-il. En 1993, Jitrois inaugure le trunk show, « le meilleur moyen d’entrer dans le milieu de la mode américaine » selon lui. Tout est aussitôt vendu ! Plus tard, un autre « happening situationniste » lance le Skin Jean sur le marché. La laverie Jitrois, installée dans un salon Napoléon III, fait sensation. Ce nouveau succès lui ouvre « des lieux de retail en vue, comme L’Éclaireur à Paris, Isetan au Japon… Nous pénétrions enfin le milieu très fermé des acheteurs de mode », remarque-t-il. Si « l’imprévisible, la surprise sont des moteurs de vente », le créateur, enfin, a toujours considéré la boutique comme « une scène stimulante ». C’est l’architecte d’intérieur Christophe Pillet qui concevra l’esthétique de ses boutiques du troisième millénaire : laque noire, jeux de miroirs et de néons… Chic et provocateur !