Le cuir vitrail
d’Amandine Guruceaga

So wet blue, cuir transparent
So wet blue, cuir transparent, acier, 265 x 39 x 39 cm et Phyllo Navy, cuir transparent, acier, résine, 118 x 113 x 3 cm, 2017- Photo © Alexandre Guirkinger.

Diplômée de l’École Supérieure d’Art et de Design de Marseille, l’artiste plasticienne et sculptrice française Amandine Guruceaga s’est jusqu’ici distinguée par son travail sur le tissu et les métaux.
Sa participation à la 2e édition des Résidences LVMH Métiers d’Art, articulée autour de la couleur, lui a permis d’expérimenter le travail du cuir et de la pigmentation au sein de la tannerie espagnole Riba Guixà, spécialiste du cuir d’agneau Entrefin qui dispose d’une colorothèque de 22 000 teintes de cuir !
Sa résidence artistique a donné lieu à une exposition à la Galerie Monteverita à Paris en février dernier et à la publication du livre Colour Sparks, paru aux éditions RVB Books.
Nous l’avons rencontrée pour qu’elle nous parle de son expérience à la tannerie Riba Guixà.

Quand avez-vous commencé à travailler le cuir ?

J’ai commencé à travailler le cuir dans le cadre de la résidence. Je ne suis pas forcément allée instinctivement vers cette matière, même si j’avais acheté des cuirs quelques mois auparavant et les avais dans un coin de mon atelier. J’avais envie de faire quelque chose avec, mais je n’avais pas encore trouvé quoi. L’occasion s’est alors présentée.

Comment choisissez-vous le cuir que vous utilisez ?

Je n’ai pas de sélection très précise, mais j’ai tout de même une préférence pour les grandes peaux qui ont des défauts. Défauts que la lumière, à travers la transparence, viendra sublimer.

Des défauts qui rendent ces peaux habituellement inexploitables en maroquinerie ?

Oui, je vais un peu à l’encontre de la manière dont travaillent les artisans qui, eux, s’attachent à gommer toutes les imperfections pour obtenir un cuir absolument lisse et parfait. Le fait de rendre le cuir translucide fait au contraire ressortir le veinage, les empreintes de l’ossature… On peut ainsi parfois distinguer sur certaines pièces la cage thoracique de l’animal.

On oppose souvent art et artisanat. Qu’en pensez-vous ? Comment s’est déroulée votre collaboration avec les artisans ?

Je n’ai jamais fait de différence. Mes parents étaient émailleurs d’art, j’ai toujours grandi dans des ateliers d’artisanat. Je ne fais pas cette distinction entre l’art et l’artisanat. Pour moi, il n’y a pas de high culture et de low culture. J’ai donné aux artisans les clés de mon travail précédent et ils ont vraiment été très curieux de savoir d’où venaient mes pièces et où je voulais aller. Ils avaient envie de voir ce que je pouvais faire car j’ai un regard extérieur, différent. Je n’appréhende pas ce matériau comme eux et je ne perçois pas le potentiel des machines qu’ils utilisent de la même manière.

Quelle a été votre démarche artistique ?

J’avais vraiment un fantasme de translucidité, de vitrail, d’émail. J’en avais parlé à un tanneur et au chimiste de la tannerie. Au début, ils pensaient que ce ne serait pas possible. Nous avons fait de nombreux essais, je testais des choses tous les jours. Cela a finalement abouti à une trentaine d’œuvres.

El yacimiento I et II
El yacimiento I et II, résine, cuir, acier, 150 x 100 x 20 cm, 2017 - Photo © Alexandre Guirkinger.

Parlez-nous du « cuir vitrail ». D’où vient-il ?

C’était vraiment une aspiration, un fantasme de l’émail. Je ne sais pas vraiment d’où il vient, mais je pense qu’en premier lieu j’avais envie de me rapprocher de la matérialité de la peau et de l’animal. Je ne voulais pas être dans une recherche de perfection où l’on obtient quelque chose de très lisse et où l’on perd finalement de cette animalité. Le cuir est l’un des matériaux les plus anciens de l’humanité. C’est un matériau unique, chargé de sens, un matériau qui est de l’ordre du vivant. Je voulais vraiment conserver cela et le sublimer, et c’est passé par cette recherche de translucidité.

Comment élaborez-vous vos pièces sculpturales ?

Je cherche des formes. Je possède un répertoire de gestes qui vont produire des effets sur les matériaux que j’utilise. Après c’est vraiment de la construction dans l’espace, avec quelque chose qui est de l’ordre de l’intuitif. Quand j’ai réalisé « La Déchirure », à partir de peaux d’agneaux entrefino, de cuivre et d’acier, j’ai beaucoup pensé aux écorchés, à la manière dont on peut montrer une carcasse, à la façon dont cela est représenté dans le monde de l’art et de la peinture. Je pensais par exemple au « Bœuf écorché » de Chaïm Soutine (1925, huile sur toile, 202 × 114 cm, musée de Grenoble). Certains tableaux de cette série sont comme une espèce de masse, de flamme très orangée, jaune, rouge. On perd complètement le sujet au profit de quelque chose de très vibrant, qui n’est plus dans la représentation de la chair pour ce qu’elle est, mais davantage dans la puissance brute qui s’en dégage.

Phyllo Citrus, cuir transparent, acier, résine, 110 x 110 x 3 cm et Wakame Wazab, cuir transparent, tissu de cire acier, résine, 113 x 118 x 3 cm, 2017 - Photo © Alexandre Guirkinger.

Allez-vous continuer à travailler le cuir ?

Oui, car je pense que l’on peut aller plus loin. C’est une matière qui, dans les arts en tout cas, n’a pas vraiment été creusée, explorée.

Rédaction Garance André

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