Foulons et Palissons fait revivre la tannerie
Annonay est un berceau historique du cuir. La ville a même été la capitale mondiale de la mégisserie de chevreaux à destination de la ganterie au XIXe ...
À l’ère du tout numérique, en pleine transition écologique et technologique, les industries du cuir, de la mode et du luxe s’engagent dans la révolution de leurs processus de fabrication.
Au plus proche de la nature, entre tradition et haute technologie ou game-changer, peu importe l’approche ou le moteur du changement, les utilisateurs de cuir explorent activement la question.
Petit tour d’horizon des usages et opportunités repérés du vieux continent à l’Empire du soleil-levant, doublé du regard de Nicoline van Enter, consultante et fondatrice de The Footwearists, plateforme de formation et d’innovation pour les professionnels de la chaussure.
Connectés à la terre, ils prônent une agriculture responsable, aiment la nature comme le naturel et acceptent le cuir à l’état pur avec ses imperfections. Pour eux, concevoir une mode durable s’entend dans les deux sens du terme.
Végétal à foison
De ses propriétés de résistance inégalées, le cuir à tannage végétal est un produit durable, au sens propre du terme, destiné à passer l’épreuve du temps. En réponse au système de la fast fashion, bon nombre de marques le favorisent pour réinterpréter des modèles iconiques et intemporels à porter au quotidien. Au sens figuré du durable, le « tan » ou bain en fosse communément composé d’écorces de quebracho, mimosa ou châtaigniers semble bel et bien révolu pour une nouvelle génération d’entreprises engagées, basées en Allemagne. Ainsi Deepmello développe Rhabarberleder®, du cuir à tannage végétal à partir de racines de rhubarbe tandis que wet-green® propose du cuir tanné aux feuilles d’olivier, dénommé Olivenleder®. Mieux encore, cette dernière invite les tanneries, telles que Weinheimer Leder, à adopter leur agent tanin et les accompagne dans l’implémentation de cette méthode de tannage alternative. Les plus ? Ces cuirs peuvent être très souples et développés dans des tonalités très claires proche du blanc ou très vives comme leurs consorts tannés au chrome, qui demeurent encore indétrônables en matière de performance, créativité et débouchés produits.
Parfaite connaissance des imperfections
Le cuir à tannage végétal séduit foison de créateurs, non seulement pour ses propriétés de traitement – convaincus que la méthode est plus éco-responsable qu’une autre, bien que la question ne fasse pas consensus dans la profession – mais aussi pour sa tonalité chair, naturelle, proche de la peau. Aussi, ils n’hésitent pas à revisiter le cuir de tannage le plus traditionnel pour en faire des produits de design contemporain et de mode streetwear, telles que Hender Scheme ou Laëtitia Fortin quitte à éduquer une clientèle avertie, prête à assumer la sensibilité du produit à la lumière, aux tâches et autres griffures pour la cause environnementale. Chaque année, les projets étudiants réalisés en collaboration avec les membres du Consorzio Vera Pelle, l’association de tanneurs Toscans spécialisés dans le tannage végétal, exposés à l’occasion des grands salons internationaux, en témoignent. Particulièrement active, l’association favorise l’expérimentation de cette matière au travers d’ateliers immersifs en tanneries, réservés aux étudiants des plus grandes écoles de mode, ou sous forme de séminaires itinérants aux quatre coins du monde.
Palme de la traçabilité
Si les professionnels du cuir dépensent beaucoup d’énergie pour trouver des solutions pouvant éradiquer les défauts des peaux à la source, d’autres en font, au contraire, un élément différenciant.
D’où vient le cuir que je porte ?
La question de la traçabilité est un sujet qui préoccupe les consommateurs de cuir, au même titre qu’ils veulent savoir ce qu’ils mangent. Certains designers promeuvent l’origine des cuirs comme un élément essentiel du produit. Tel était le cas pour le créateur Sruli Recht basé en Islande, faisant usage de cuir de baleine de Minke, consommée au niveau local. Ou pour le néerlandais Hans Ubbink, en concevant une collection à partir de cuir équin de Mongolie, brandé Aduu Mal. Créé en 2015, le label de cuir mongol garantit traçabilité, bien-être animal, éthique et respect de l’environnement. Avec le soutien de Stalh, l’un des leaders fournisseurs de produits chimiques pour l’industrie de la tannerie, les tanneurs mongols associés à ce label, se sont orientés vers des tannages sans chrome, sur des peaux d’équidés qui n’étaient pas valorisées en tant que cuir. Aussi insolite que cela puisse paraître pour les populations d’autres contrées, ces cuirs sont le reflet de la dimension culturelle et des modes de consommation alimentaire de ces territoires. À Dongen en Hollande, The Traceable Leather Cooperation (TLC) commercialise des peaux tannées sans chrome ni aldéhyde, issues de bovins élevés bio, qui paissent dans les prairies jusqu’à ce que belle mort s’ensuive. Leur credo ? Travailler main dans la main avec agriculteurs, professionnels et institutionnels de l’industrie – de « l’herbe au sac » – pour proposer aux créateurs des cuirs attrayants et authentiques, qui racontent l’histoire du paysage hollandais. Dans tous les cas, ces initiatives soulignent le caractère naturel des peaux marquées par la vie de l’animal.
Alliant artisanat et technologie, ils poussent l’expérimentation jusqu’à ses retranchements, qui parfois dérange. Bienvenue dans le laboratoire des « technocraft » d’un nouveau genre – pour reprendre l’expression de Pierre-Alexis Dumas, Directeur Artistique d’Hermès.
Cabinet de curiosités
Par le passé il était commun d’employer tous les organes de l’animal pour en faire du cuir. Loin du glamour, à l’heure où le manque de matières premières peut se faire sentir, des designers re-explorent ces pistes pour la façon de sacs et accessoires. C’est le cas de Billie Van Katwijk, récemment diplômée de la Design Academy à Eindhoven avec une collection de sacs entièrement conçue à partir d’estomacs de vache. Si cet organe est assez grand pour permettre de créer des produits de cette dimension, le studio de création allemand Gutedort utilise des intestins et vessies de bovins, ovins et porcins pour développer des plus petits accessoires tels que portefeuilles ou bijoux. Tanner les tissus issus de ces organes est un vrai challenge et peu d’acteurs savent le faire.
En mode expérimental
Nous connaissons le parchemin, d’aspect translucide, obtenu à partir de peaux non tannées, couramment utilisé pour la reliure et l’enluminure. Il y a quelques années déjà, le designer Didier Versavel, développait, avec le compagnon maroquinier Guillaume Bernard, du parchemin transparent d’agneau monté sur un nid d’abeille en cuir de veau pour former de la bagagerie d’exception. Ensemble ils ont mis au point un panneau alvéolaire, rigide, épais, transparent et 100% cuir ! Dans le prolongement de cette expérimentation autour du parchemin transparent, le designer remet cette matière au gout du jour en créant lampes et mobilier utilisant la nouvelle technologie LED, en vue d’éditer une série limitée d’objets précieux. À bon entendeur !
Côté tanneurs, Kotaï s’inspire de cette technique ancestrale pour la transposer sur les peaux de poissons Tilapia. Tannées à l’aide d’enzymes pour enlever les protéines contenues dans leurs fibres, elles deviennent translucides sous quinzaine. Autre exemple, fruit d’une collaboration avec le créateur Sruli Retch, connu pour son usage peu conventionnel des matériaux, la tannerie hollandaise Ecco Leather a développé une technique de tannage dénommée « Apparition ». En résulte, le premier cuir transparent à partir de peaux de bovins, plus grand, plus souple et malléable, encore en phase expérimentale pour la confection de prêt-à-porter commercialement viable. Et si ce type de cuir pouvait remplacer le plastique ? Lauréate de l’Imagination Prize aux PV Awards de Première Vision en 2016 et d’APLF Hong Kong Best Leather Prize en 2017, la mégisserie turque Anil Deri propose du cuir d’ovin transparent dénommée « Papyrus » à base de substances chimiques naturelles (sans métaux lourds) et d’une technique de séchage dont elle garde le secret.
Responsive design
En matière de couleurs, semelles et tiges marchent à l’unisson dans la mouvance streetwear. Les sneakers color block envahissent les podiums et la rue. En coulisses, les fournisseurs des grandes marques se mettent au diapason pour suivre les mêmes masters couleurs, inscrites au cahier des charges des donneurs d’ordre. Un travail de haute précision est de mise. Autre option, toute aussi technique en matière de process : napper une sneaker du coloris nude dans son intégralité après assemblage pour obtenir une paire monochrome. Un procédé technique qui pourrait s’avérer particulièrement intéressant pour proposer la couleur à la demande aux consommateurs finaux friands de personnalisation ! Si les encres thermochromiques et quelques applications textiles arrivent sur le marché, rendre le cuir responsif n’est pas chose facile. Déjà, en 2015, les grands magasins Selfridges présentait une série limitée de sacs dont la couleur mue au contact de la chaleur, lumière et pression de l’air.
Fablab
Pour d’autres, la sommité de la coolitude c’est de porter des marques populaires au look destructuré comme Off-White. Et si elles sont écoresponsables, c’est encore mieux. En marge de la conception assistée par ordinateur, depuis le Studio Hagel à Amsterdam, Mathieu Hagelaars repense la conception des baskets. Son mode d’opération ? Disséquer des paires de Puma, Nike, Adidas, Converse et consorts usagées en autant de composantes à réassembler. En résulte des projets détonnant de créativité !
L’artisanat continue d’inspirer les créateurs qui n’hésitent pas à marier des techniques traditionnelles et technologies contemporaines pour donner corps à des pièces non conventionnelles. Le travail d’Iris Van Herpen, autour du cuir tressé, découpé au laser, s’apparente à des œuvres sculpturales à mi-chemin entre l’art et le design de mode. Comme les sacs trompe-l’œil de Konstantin Kofta. Bien que la technique de moulage humide existe depuis des siècles, le créateur ukrainien l’inscrit dans le futur en adaptant les motifs reliefés à l’anatomie d’un sac, grâce à l’impression 3D. Présentés pour la première fois en ce début d’année en simultané sur Maison&Objet et Who’s Next, les motifs en bas-relief sur cuir de la designer Julie Simon, sont issus de longues mises au point depuis son atelier à Genève.
Le rôle des designers évolue au rythme des avancées technologiques. Parties composantes de l’ADN des marques de mode, le mouvement maker fortement imprégné de la culture numérique, fait sa révolution, et le concept du DIY réhabilite les savoir-faire artisanaux. Nouvelles matières et process donnent naissance à des vêtements futuristes sur le principe de l’open source où l’on collabore – avec des ingénieurs, chimistes, designers textiles, stratèges commerciaux -, réutilise, détourne, améliore les ressources des autres pour faire une mode basée sur la qualité plutôt que la quantité. Ce phénomène mondial qui se développe à rebours de la logique capitaliste n’est pas sans rappeler le mouvement Arts and Craft apparu en Angleterre dans la deuxième moitié du XIXe siècle en réaction à la révolution industrielle et à ses produits standardisés de piètre qualité, analyse la sociologue des organisations Isabelle Berrebi-Hoffmann.
Plus radicaux jusqu’à parfois s’affranchir du cuir, les « ecological natives » placent l’écologie au cœur de leur business modèle. Upcycling de seconde main, bonding, matières vegan et bio couture, entre coup de com et philanthropie, ils concilient style et innovation pour promouvoir des produits durables.
(Ré)création !
Broyez des chutes de cuir et mixez-les avec un agent liant, vous obtiendrez une nouvelle matière. C’est ce que le géant Nike appelle Flyleather, sans pour autant être du cuir. La designer néerlandaise Julie Van den Boorn a mis au point une autre solution au travers de son projet Compo Leather. Elle broie les chutes de cuir de chaussures, sacs et vêtements usés, ajoute de l’eau chaude et presse la sorte de pâte obtenue dans un moule avant de la faire sécher. La jeune femme a exploité la nouvelle matière qui ne ressemble pas au cuir, et ne peut faire l’objet d’applications similaires car trop rigide mais semble parfaitement adapté pour habiller les tableaux de bord ou portières intérieures de voitures.
Utiliser les ressources existantes pour en produire de nouvelles, c’est la vision que partage également la startup sino-française Recyc Leather, qui à partir de chutes de cuirs issues d’une usine de gants de jardin, propose une nouvelle matière adaptée au développement de la maroquinerie, à un prix très compétitif. Surcyclé, le cuir donne naissance à de nouvelles matières aux propriétés autres, et s’inscrit dans une démarche de réduction des déchets, et écoresponsable particulièrement s’il est lié d’agents non toxiques naturels et conçu pour pouvoir être surcyclé de nouveau.
En France la start-up toulousaine Authentic Material, surcycle le cuir en deux gammes : l’Originale, sans liant ni additif, qui peut sous certains paramètres retrouver la structure moléculaire du cuir et la Composite, alliage de poudre de cuir et d’un bio polymère à base de plantes, dont les propriétés de résistance à l’eau, au vieillissement et à la chaleur s’en trouvent décuplées.
5 fruits et 5 légumes par jour
Ou comment jouer sur la frugalité pour séduire les nouvelles générations ?
Autre réponse aux préoccupations environnementales, éthiques et de bien-être animal, la poussée des matières coproduits de végétaux, dont les sucres font office de liant naturel, tels que l’ananas, la pomme, la mangue, l’orange, le raisin, la banane, la canne à sucre ou la noix de coco, réunies à l’occasion du salon Future Fabrics Expo à Londres en janvier. Même certaines tanneries s’y mettent ! Cette année voit le lancement de beLEAF™, nouveauté à base de feuille d’Alocasie à grandes racines, tannée bio par Nova Kaeru. Plus grand exportateur de cuirs de poissons au monde, l’entreprise brésilienne utilise – tel un compost – les effluents et déchets organiques de sa tannerie pour cultiver la plante tropicale. Présenté sous forme de feuille – qui ressemble étrangement à une oreille d’éléphant – en finition naturelle dans un esprit rustique ou bleu nuit mat sophistiqué, le produit – bien qu’en phase de tests et d’ajustements – a déjà conquis des créateurs réputés avant-gardiste tel Rick Owens. D’autres s’essayent aux finitions bio à base de champignons, algues et bactéries qui ouvrent le champ des possibles. C’est le cas du Studio Blond & Bieber qui a mis au point des chaussures teintes avec des algues, dont la couleur change au cours du temps ou du laboratoire de recherche et technologie MIT Media Lab, qui pour New Balance, a créé un système de ventilation novateur pour habiller l’empeigne d’une sneaker d’un textile respirant. Sous l’effet de la chaleur et de l’humidité, grâce à une finition à base de bactéries, les perforations du textile répondent aux stimuli du corps humain telles des fenêtres qui s’ouvrent et se referment au gré de la température corporelle. Ou quand les bio matières nourrissent l’intelligence sensorielle !
La fabrique du vivant
Présente à l’occasion d’Avantex, le nouveau salon sous la bannière de manifestations organisées par Messe Frankfurt à Paris, The Fairyland For Fashion, l’ArtEZ University of the Arts, présentait son travail de recherches autour des bio matières. En collaboration avec la Wageningen University Research (WUR), le projet interdisciplinaire The Future of Living Materials, connecte créateurs, scientifiques et centres de recherches pour endiguer les défaillances du système mode.
À l’instar de Stella McCartney, qui présentait l’an dernier au Victoria & Albert Museum un prototype de l’iconique sac Falabella en Mylo, dérivé de micro-organismes à base de Mycelium (racine structurelle du champignon) développé par la start-up américaine Bolt Threads, les designers consultantes Liz Ciokajlo et Kristel Peters expérimentent la bio matière. Première universelle, Modern Meadow donnait naissance en 2017 à ZOA, matériau composé de cellules de levures génétiquement modifiées et cultivées in vitro dans son laboratoire du New Jersey. Pour le moment, seul un échantillon était visible au MOMA à New York la même année mais la start-up américaine serait en train de travailler à l’industrialisation de la production avec des entreprises partenaires du secteur de la mode et du luxe.
Concevoir des produits avec la biologie serait-il le futur de la mode ? et du design ? Tout juste clôturée, l’exposition La Fabrique du Vivant au Centre Pompidou à Paris, était consacrée à la transformation du vivant à l’heure des biotechnologies. Résolument prospective, elle présentait les nouvelles technologies disruptives du vivant et bio matières engendrant des objets innovants, durables ou biodégradables à travers les œuvres d’une cinquantaine de créateurs, tout en croisant art, design et architecture. Programmer, imiter, dupliquer ou altérer le vivant ? En marge de l’événement, le forum Vertigo, – rencontre entre scientifiques, artistes, intellectuels et ingénieurs – invitait à la réflexion sur ces questions fondamentales d’ordre philosophique, juridique et éthique.
Rédaction Juliette Sebille
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