À Milan, l’accessoire sort du cadre

Le ruban évocateur donne son nom aux chaises dessinées par Pierre Renart pour Longchamp. Les verts Héritage et Lumière, emblématiques chez le maroquinier, sont 2 des 8 couleurs de cuirs proposées à la vente - Photo © Federico Avanzini.

Chaque printemps, le Salone del Mobile lance les nouveautés sur le marché et incite les acteurs du luxe à se singulariser une semaine durant dans la capitale mondiale du design. L’art et le design sont des terrains de jeu privilégiés qui stimulent l’accessoire de mode avec une réelle énergie créative. L’édition 2025 a profité à trois marques aux concepts et propositions atypiques : le label de bijoux responsables So-Le-Studio, Boyy, adepte de l’installation immersive et Longchamp qui met un pied dans l’ameublement.

Dafné est une pièce sculpturale, poids plume en cuir recyclé, fabriquée en Toscane comme tous les accessoires So-Le-Studio - Photo © Bernard Vainchtein.

So-Le-Studio joue avec l’illusion

Au cœur de la capitale lombarde, « A Matter of Time : 10 Years of an Idea » a fait partie des nombreux événements qui ont rythmé la Milan Design Week. La marque So-Le-Studio a mis en lumière ses éco-accessoires, entre installation et rétrospective, dans sa boutique Piazza del Quadilatero. Maria Sole Ferragamo est l’une des quatre petites-filles de Salvatore Ferragamo, fondateur de la marque éponyme. Dès l’enfance, elle baigne dans l’artisanat du cuir. Sa formation est double, l’architecture à l’Université Polytechnique de Milan et la joaillerie à la Central Saint Martins College of Art and Design de Londres. « J’ai rapidement commencé à fabriquer des bijoux, dit-elle. C’est en découvrant les chutes de cuir, dans les ateliers familiaux, que j’ai trouvé le point de départ de So-Le-Studio. Je préfère utiliser des matériaux existants. Questionner la préciosité des matériaux me tenait aussi à cœur ». Ses bijoux sculpture donnent le change, en effet… Volontiers surdimensionnés et massifs, ils évoquent immédiatement le bronze, l’or ou l’argent. « Mes pièces sont fortes visuellement, poursuit l’Italienne. Les chutes de cuirs et les copeaux de laiton, que je transforme, les rendent légères et ultra confortables. La portabilité est pour moi une priorité. » Les créations, toutes durables, ont l’avantage d’être « simples à observer ». Maria Sole Ferragamo les trouve dans la nature, le cosmos mais ne s’interdit pas d’explorer les formes tridimensionnelles et des process complexes. « Les cuirs que je choisis ont déjà une finition métallisée. Je peux aussi utiliser des cristaux de poudre pour un effet scintillant que j’aime bien. Les cuirs sont perforés, ciselés… Les motifs géométriques sont appliqués à l’aide d’une presse de découpe. En fait, j’utilise le volume comme le font les architectes avec les techniques d’ingénierie. Je vois mes bijoux comme de petits organismes vivants qui ne sont pas ce qu’ils semblent être », explique-t-elle. Le flagship milanais, conçu en 2022 par l’agence d’architecture Fondamenta, prolonge l’inspiration organique de So-Le-Studio. L’espace brouille autant la perception que les bijoux. « C’est un concept futuriste, qui se démarque radicalement du site historique, un ancien séminaire, dit-elle. Le décor donne la sensation d’être à l’intérieur d’un organisme vivant et offre au visiteur une expérience sensorielle particulière. » Fondamenta a ainsi « déformé » les murs, recouvrant la coque intérieure d’une peau souple sous tension. Les bijoux en forme de spirales ou qui se drapent, le sac L’Una aux rabats « ailés » semblent « flotter » dans l’espace. Ils illustrent le pouvoir de transformation du cuir, matériau phare d’un « artisanat conscient ». La créatrice l’affirme. « Pour gérer une entreprise durable, il faut être agile et repousser les limites, comprendre les innovations et tenir ses objectifs. »

The Gazette Bag marque la première collaboration de Boyy avec le Studio Mary Lennox. La feuille de journal est en cuir d’agneau imprimé.

Boyy entre art et design

Boyy est une marque de sacs et de chaussures résolument iconoclaste. Multidisciplinaire et polyculturelle, à l’image de ses fondateurs. Jesse Dorsey, né à Montréal, évolue dans le milieu de la photographie de mode, de la scène musicale new-yorkaise. En 2004, il rencontre Wannasiri Kongman, originaire de Bangkok et passionnée de mode, spécialement de sacs. Deux ans plus tard, le couple lance Boyy, centrée sur un matériau phare, le cuir. La jeune pousse attire rapidement l’attention du magazine Visionnaire, du concept-store parisien Colette, se distingue en Thaïlande et ouvre une première vitrine à Copenhague. L’arrivée à Milan en 2019 marque une étape décisive. La marque se rapproche des tanneries italiennes. « Nous défendons la longévité de nos produits, souligne le duo. Une qualité sans compromis et un design atemporel représentent pour nous l’essence du luxe ». L’ouverture du flagship via Bagutta dans le Quadrilatero della Moda, marque aussi le début de la collaboration avec Thomas Poulsen, dit FOS. Pour Boyy, l’identité visuelle et le point de vente physique ne font qu’un. L’artiste danois opte pour une installation temporaire expérimentale, conçue en trois temps. À chaque immersion, le décor transforme la perception de l’accessoire : miroirs déformants, tapisserie imprimée de sacs XXL ou encore couleurs artificielles issues du digital. Boyy l’illustre, la boutique n’est surtout pas un lieu statique. « Nous voulons que le visiteur qui entre, s’interroge, soit surpris, s’émerveille… » Pour y parvenir, le Canadien et la Thaïlandaise nouent des partenariats créatifs sans frontières. Cette année, ils ont invité le Studio Mary Lennox, spécialisé dans le design botanique à Berlin. Ensemble ils ont imaginé une édition limitée qui ne départ pas avec les sacs ludiques de la marque, tel le Hungry Chili, en forme de piment, dont l’anse est une fourchette. Le sac Gazette a été présenté en avant-première. Sa forme conique est idéale pour transporter un bouquet de fleurs. Mais pas seulement ! Le cuir d’agneau imprimé et illustré de photos, à la manière d’une feuille de journal quotidien, fait toute la différence !

Wave semble s’enrouler sur elle-même. Pierre Renart et Longchamp réunissent les savoir-faire du bois et du cuir avec poésie et haute technicité - Photo © Gary Schermann.

Se meubler avec Longchamp

L’artisanat du cuir est ancré dans l’ADN de Longchamp depuis sa création en 1948 par Jean Cassegrain. Sophie Delafontaine, petite-fille et Directrice Artistique, perpétue l’héritage familial tout en élargissant les horizons. « Longchamp est engagé depuis longtemps en faveur des talents créatifs et du maintien des savoir-faire sous toutes leurs formes, dit-elle. Notre soutien aux ANDAM Fashion Awards en fait partie. » La mode est un vivier dynamique, les arts décoratifs aussi. En 2021, la maison sollicite Pierre Renart pour son nouveau concept de boutique, façon « appartement parisien ». Le jeune ébéniste français, diplômé de l’école Boulle, appartient à la nouvelle garde créative. La table basse, qu’il conçoit pour le maroquinier, illustre son inspiration organique et l’audace sculpturale qu’il affectionne. L’expérimentation des formes l’a toujours passionné. En sculptant et courbant le bois en très fines feuilles, il donne du mouvement à un mobilier aérien, reconnaissable à sa ligne fluide. L’événement milanais fournit l’occasion, en 2025, de prolonger la collaboration et d’étendre la visibilité. La table basse donne lieu à une famille de pièces complémentaires, toujours sinueuses, mais aussi, pour la première fois, bimatières. Bois et cuir sont deux matériaux vivants, sensoriels, parfaitement aptes à magnifier la pureté formelle. Pierre Renart aspirait secrètement à les réunir… « Pour le projet, Sophie Delafontaine m’a expliqué les différents types de cuirs et comment Longchamp les utilisait, précise le designer. C’était un défi passionnant d’appliquer cette expertise à mes créations. J’ai choisi le noyer d’Amérique qui est un bois éthique, dont j’aime particulièrement le veinage graphique. Longchamp m’a fourni un cuir de vachette très souple. J’avais en tête deux objectifs : la légèreté et la ligne continue. » La banquette Wave et la chaise Ruban, au nombre de huit, ont été dévoilées pour la première fois dans le flagship milanais, via della Spiga, rythmant l’espace de leur élégance naturelle. Dessiner des assises ne relève pas du hasard. À travers elles, l’artisan questionne l’ergonomie et le travail de la courbe qui l’anime depuis ses débuts. La couleur du cuir vient prolonger l’exercice, ton sur ton pour la banquette, contrastée sur les chaises. Si Pierre Renart a introduit pour la première fois le cuir dans son approche innovante, Longchamp, de son côté, lance une catégorie inédite de produits. Deux virages créatifs pleins de promesses.

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Rédaction Nadine Guérin

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